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Critiques de Rachel Bespaloff (1)
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Lettres à Jean Wahl, 1937-1947 : sur le fond ..

Elle s’appelle Rachel Bespaloff, elle est philosophe, musicienne, ukrainienne, juive et française, elle se réfugie aux Etats Unis en 1942 et s’y suicide, en 1949.

Elle va traverser les années de guerre et tourment en se rendant compte, pleinement, de ce qui est en train d’arriver ; le 9 mars 1940, elle écrit à son frère : « Et pourtant, avons-nous jamais cessé de l’attendre, cette guerre, au cours des années inquiètes où l’on faisait semblant de ne pas y croire…Parce qu’on ne veut croire que ce que l’on espère, tout en sachant que la vérité n’est pas là».

Elle est totalement impliquée dans le mouvement de l'histoire, et les déplacements au cours de sa vie suivront le rythme des évènements de l’époque : elle passera de la Bulgarie où elle est née lorsque ses parents, ukrainiens, s’y trouvaient de passage en 1897 à la Suisse qui accueillit tant d’immigrés russes, à la France ensuite - Paris avant tout - qui restera sa patrie d’élection. C’est là qu’elle rencontrera des philosophes et se liera d’amitié avec plusieurs d’entre eux (Jean Grenier, Daniel Halévy, Gabriel Marcel, Jean Wahl) échangeant lectures, conversations passionnées, réflexions sur les événements et qu’elle commencera à écrire son œuvre faite d’articles, de critiques, de notes de lecture, de textes publiés et

d’innombrables lettres où le sens de sa recherche apparaît dans son ampleur. Entre autres, celles-ci, adressées à Jean Wahl avec qui elle partagera le voyage d'exil vers les Etats- Unis,les années d'enseignement à Mount-Holyoke et les réflexions philosophiques par la suite, jusqu' à sa mort.

C’est un personnage intéressant, aux multiples talents - douée aussi bien pour la musique que pour l’enseignement de la

littérature auquel elle n’était pas à priori préparée, philosophe par instinct et écrivain tout naturellement - et inquiétant pour la manière dont son suicide nous interpelle : a-t-elle coulé comme Virginia Woolf ou Sylvia Plath, appesantie de douleurs ou bien est-elle morte de la souffrance du scandale de l’humain, de refus, comme cela a peut-être été le cas de Primo Levi, peu importe la distance des événements, reste l’impossibilité de vivre.

« Belle, d’une beauté de princesse, si les princesses ont cette beauté princière. Elle était intelligence et âme. Elle pensait toujours avoir raison et elle avait presque toujours raison, dit sa fille. D’une énergie bondissante et indomptée, elle n’avait guère de consolation que dans sa fille et les arbres. Parfois la fatigue s’emparait d’elle. Une grande fatigue. Elle sentait la partie perdue. Elle voulait la paix. Maintenant sa fidélité aux valeurs, à la tragédie classique, plus loin et plus haut à Jésus, plus loin encore à Sion, plus loin et plus près. Qui dira quelle part ont eu dans sa mort ces déchirements de pensée ? »

(Jean Wahl – Préface au roman de la fille de Rachel Bespaloff, Naomi Levinson « Les chevaux de bois d’Amérique », traduit de l’américain – Julliard, 1955)

Nous n’avons pas de réponses, nous savons seulement combien elle a cherché dans les trois directions indiquées: la mythologie – la Bible – la religion chrétienne, croisant les lectures pour

trouver enfin une valeur à jeter dans « dans le creuset de nos souffrances, pour être fondue à nouveau » comme elle le dit en 1949 dans une lettre à son ami, le père Gaston Fessard.

Rachel Bespaloff accomplit un effort intellectuel constant pour endiguer le désarroi, et sa pensée, acérée par l’angoisse des jours du nazisme, se développe dans sa lecture « De l’Iliade »,

publiée en 1943 a New York. L’Iliade, le texte autour duquel Simone Weil était en train de réfléchir aussi, certainement pas par hasard : « De l’Europe opprimée s’élèvent les voix de ces deux homérides, au même moment ; toutes deux quittant l’Ancien Continent ont voulu regarder un de ses deux plus grands livres ; et chacune avait la pensée tournée en même temps vers l’autre Livre, qui le complète. » (Jean Wahl – Préface à l’Iliade de Rachel Bespaloff)

Face à la guerre, les deux philosophes se tournent vers Homère, vers l’image de la force brute et héroïque. La source mythologique peint de la couleur du tragique la souffrance qu’est en train de vivre l’Europe et, en filigrane, la source biblique, celle des prophètes que Rachel Bespaloff lit et cite, suggère une absence divine, désespérante. Un texte retrouvé parmi ses manuscrits, plein de ratures, porte les traces de cette perte : « Mais Dieu s’est tu pendant cette guerre. Seul le Dieu des

armées a parlé de sa voix formidable. Le Dieu qui règne sur les nations et ne compte pas les âmes. Le Dieu de la Bible et la Némésis des Grecs. Mais le Christ n’est pas ressuscité. Peut-être était-il dans cette usine de mort parmi ses frères. Personne ne l’a vu. Il n’a consolé personne. » Le manuscrit termine ainsi : « Je ne dis pas que Dieu est mort - je dis que l’image que je me suis faite

de Lui est morte .Que c’est à lui de se révéler de nouveau.»

Le Dieu de la “toute-impuissance”, évoqué par Bespaloff, Weil et Wahl, un Dieu christique, présent dans leurs invocations, est infiniment plus proche alors que tout autre divinité, dans son immense faiblesse et incapacité à se sauver.

Détournée de son image de Dieu, Bespaloff va se demander si c’est à l’homme lui-même qu’appartient la prérogative d’affirmer, en dernier recours, l’humain :

“Mais là où le dernier choix n’existe plus, où il s’agit de mourir dans le wagon à bestiaux, dans la chambre à gaz ou sous la torture, l’homme trouve-t-il une suprême ressource qui lui permet

d’affirmer son être au-delà de sa propre destruction? Pas de réponse à cette question: seuls pourraient répondre ceux qui n’ont pas survécu. La dialectique de l’instant reste suspendue à cette impossible réponse.” (manuscrit inachevé de Rachel Bespaloff)

C’est ce qu’ elle pense et écrit avant de mourir, alors qu’elle se situe parmi ceux qui ont survécu ; à présent, alors qu’elle a passé la démarcation et est pour nous de ceux qui n’ont pas survécu, les questions nous reviennent ainsi que la recherche des impossibles réponses. Forts, peut-être, de cette recherche métaphysique de nos prédécesseurs, et de leurs indications sur le bien-fondé de la

recherche car il y aura toujours « une certaine manière de dire le vrai, de proclamer le juste, de chercher Dieu, d’honorer l’homme qui nous a été enseignée au début et ne cesse de nous être enseignée à nouveau ».(R. Bespaloff -De L’Iliade).



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