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Citation de Cielvariable


Plus jeune, j’étais content. Les vacances m’ennuyaient à la longue. Maintenant, c’est la même chose mais, pour la forme ou pour faire comme les autres, je joue l’écœuré. Si je m’amenais en hurlant : «Youppi ! les cours reprennent !», de quoi j’aurais l’air, hein ? Du dernier des concombres ! D’autant plus qu’ils ne débutent vraiment que la semaine prochaine. Aujourd’hui, nous venons chercher nos livres, notre horaire et nous faire photographier. C’est la routine du premier jour où on niaise à faire la queue d’une place à l’autre. Alors j’entre dans la polyvalente en traînant mes runningshoes sur le terrazzo bien ciré. À mes côtés, Luc voyage en solitaire. Il flotte. Il donne l’impression de naviguer une dizaine de centimètres au-dessus du sol. Il ne voit rien. Seul au monde ! Il lévite, comme si un gourou lui avait appris la manière. Il ne regarde personne mais il ne manque rien. Il épie tous ceux que nous croisons pour voir qui remarquera l’anneau de son oreille.

D’abord, nous nous rendons à la cafétéria pour la photo. Il faut que notre tête apparaisse sur notre carte d’étudiant, parce que, sans carte, il paraît que nous ne sommes rien. Et paf ! En entrant dans la café, c’est arrivé. Paf ! Comme la foudre ! Le coup dans les côtes ! Le hurlement du système d’alarme !

Elle était là ! Là ! En plein cœur de la grande salle où tout le monde se reconnaissait et parlait en même temps. Là ! Comme un bout de vacances qui veut pas disparaître ! Là ! Les jambes étendues, le dos contre le bord d’une des longues tables, à parler avec Andréa Paradis et Stéphanie Lachapelle. Ce sont ses jambes que j’ai remarquées en premier... ses jambes parce que... parce qu’elle portait deux runningshoes de couleurs différentes. Une mauve avec des contours roses et l’autre carreautée. Si ça n’avait été que ses jambes... des jambes, j’en avais quand même déjà vues, mais il y avait le reste. J’aurais pu jurer qu’elle souriait pour le simple plaisir de montrer ses dents blanches et parfaites. Un sourire que les fabricants de dentifrice vont s’arracher pour leurs publicités. Des yeux bleus, grands comme des piscines, maquillés comme pour un party et qui pétillent... de quoi s’y noyer ou y fêter au champagne. Je suis un peu snob, je sais, je préfère le champagne à la bonne vieille bière. Et puis, ses cheveux... ses petits cheveux blonds, rouges et noirs... bon ! des cheveux de trois couleurs et de plusieurs longueurs différentes ! Des cheveux à faire redresser ceux de ma mère qui déteste les choses extravagantes et les gens qui veulent se faire remarquer. Pour cette raison, ma mère ne pète jamais en public. Elle m’a appris à en faire autant, ce qui est le premier principe de la bonne éducation selon elle et ma grand-mère. Tout d’un coup, j’avais le cœur dans les genoux... comme s'il avait pris l'ascenseur pour me laisser sans voix, le regard glauque, l'esprit comme des mains qui s'acharnent à saisir un savon de bande dessinée. Je ne regardais plus où j’allais, j’avançais. Normalement, j’aurais dû être aux côtés de Luc, mais le cave avait bifurqué, me laissant seul. Elle a bien vu que je ne pouvais plus la quitter des yeux. Et c’est ainsi qu’elle m’a dit tout simplement :

Salut !

Et que j’aurais voulu lui dire salut, moi aussi. Mais la voix m’a manqué. J’avais le cœur au fond des mes runnings, les orteils en nœuds, la langue comme une pâte molle dans ma bouche béante. Mon pied gauche a buté contre une table... oui, avec le bruit qu’il faut pour attirer l’attention d’une foule, je suis rentré directement dans une table. Un peu plus et je m’y serais étendu comme un cadavre fatigué. Du coup, le cœur m'est remonté aux oreilles, que je sentais rouges comme une crête de coq. J’ai réussi à rattraper mes lunettes avant qu’elles ne s’égarent trop loin et j’ai fait demi-tour. En deux ou trois secondes, qui m’ont semblé une éternité, une bonne douzaine de boutons m’ont poussé dans le dos. C’est là qu’ils se concentrent quand je suis nerveux, gêné ou fatigué. Là ou sur mon nez.
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