Au début, la façon brève, distraite, dont cet homme s’acquittait de ses fonctions, donnait presque la nausée à Muck-Bruggenau ; mais quand il eut constaté la niaiserie, l’insignifiance des questions posées impudemment à longueur de journée, surtout par les voyageurs des lignes de moindre importance, il comprit de plus en plus la déception, voire l’indignation des préposés aux renseignements , frustrés, eût-on dit, du plaisir de puiser aux sources profondes de l’indicateur, de suggérer d’audacieuses correspondances, d’établir des points de jonction imaginaires, en un mot de répondre congrûment aux voyageurs en quête d’informations authentiques.
Il était rare qu’un homme du monde se présentât, les mains vides comme sur la Promenade des villes d’eaux, tandis que ses bagages depuis longtemps distribués à des nuées de porteurs s’acheminaient déjà vers son hôtel — et posât des questions plus exigeantes, presque impossibles à satisfaire.
Gloire à l’homme qui constata que dans l’ouvrage de Muck-Bruggenau, l’élément incommensurable, réclamé par l’auteur lui-même dans son monologue discursif, existait vraiment, sous la forme de la localité fictive dite Muck-Bruggenau (l’auteur avait dû oublier de l’effacer en passant du premier essai à l’indicateur définitif) mais aussi que ce lieu, naturellement introuvable sur la carte, se devait considérer comme le nœud ferroviaire de tout le réseau.
L’architecte répugnait à voir ce jardin des leurres former un tout exposé, sans clôture peut-être, inséré dans le paisible et aimable paysage comme un terrain de sport où l’on peut pénétrer et que l’on peut quitter à volonté. Il voulait l’incorporer logiquement au site, en particulier pour ce qui était de son accès et de sa sortie.
Chaque fois qu’une nouvelle échéance allait venir à terme, on se surprit à penser qu’un nouveau câble serait préférable à la simple venue de l’invité, car les motifs de ces atermoiements étaient si imprévus que, l’on ne tarda pas à le déclarer, sa véritable arrivée eût déçu tout le monde.
Aujourd’hui encore, il s’acquitte de son service avec zèle. On sait pourtant que parfois il blêmit lorsqu’on parle devant lui de la venue d’un hôte.