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Citation de Partemps


e suis devenu un homme, et la dame au cou nu n’est plus la dame au cou nu.

Et maintenant c’est un petit matin au bois de Boulogne.

Des tramways, pour m’obliger à croire que le jour recommence, exagèrent leurs cris, leur maquillage jaune. Affirmation d’une banlieue qui cligne de l’œil, et n’offre rien qui me touche, je me rappelle qu’un philosophe a constaté : « Mourir, c’est se désintéresser. »

à peine tangent au monde, pourquoi ne m’est-il pas permis de tomber tout de suite en poussière, ici, à deux kilomètres de la porte Maillot ?

Mais puisque Dieu le Père ne veut pas de moi dans son Paradis, tout comme hier, il va falloir user encore des objets, des créatures terrestres. Aujourd’hui, je ne suis pourtant pas disposé à faire des avances.

Heureusement qu’il y a l’autre pour me sauver.

L’autre trouve que la contemplation a trop longtemps duré.

J’entends : il faut rentrer.

C’est vrai, l’aube porte à l’amour.

Allons-y.

Chez moi, je touche à ce corps, comme j’ai déjà eu l’honneur de toucher à quelques autres, avec la seule volonté de me débarrasser des plus précis de mes désirs, sans l’espoir d’en satisfaire aucun, ni le goût de les prolonger.

Ainsi, bien qu’un temps je me sois condamné aux détours, j’ai, à dire le vrai, toujours eu honte de ces zigzags qui ne conduisent point l’homme à quelque exaltation (comme il me semble aujourd’hui que la solitude y peut, y doit mener) mais le laissent en plein brouillard, au milieu des autres dont il ne sait prendre aucune joie.

Ainsi le cri, par hasard échappé à la bouche qui va sur toute ma peau nue, le cri « tue-moi » lorsqu’il répond à ma prière non avouée par pudeur, est pour mon triste secret à la fois réconfort et exaltation, car la volonté d’agir exercée contre un simple sexe, le côté pile ou face d’un individu, tout entier vêtu ou dévêtu, visible ou figuré, une masse, un peuple, ne m’a jamais paru naître que du besoin d’évasion.

Et certes si la science offrait un moyen de se tuer sinon agréablement, du moins proprement et sûrement, sans doute n’aurais-je point essayé de l’amour non plus que de ces départs dont le dernier me vaut cette méditation, ce soir sur la montagne.

Or aujourd’hui ce n’est plus de moi que je prétends m’échapper, mais des autres au travers desquels j’avais commencé par vouloir me perdre. Mes amis, mes ennemis, je leur dois la plus cruelle des hantises : leurs yeux, les miens, liquides aux densités différentes qui se superposent et jamais ne se peuvent pénétrer vraiment, se mélanger. Leurs yeux, j’ai accepté de les aimer, orgueilleux et naïf à la fois, car je voulais m’y découvrir en transparence, et puis, si longtemps je les avais désirés, avec la certitude qu’ils me vengeraient du mystère insuffisant des glaces de mon enfance. Il s’agissait de me noyer, Narcisse. Au long des murs, une rivière figée n’avait pas voulu de moi. Boulangerie, annonçaient des lettres d’or et, sur le miroir, une gerbe s’éparpillait. Le fleuve vertical des boutiques n’avait emporté ni les brins de paille ni les brins de rêve.

Aussi, dès lors, avais-je résolu de mettre ma joie et ma peine ailleurs qu’en moi-même, mais telle fut ma folie que, sur la route morne, à chaque créature rencontrée, j’ai demandé non le divertissement, non quelque exaltation dont l’amour essayé eût pu me faire tangent, mais l’absolu.

L’absolu ? Je me perdais. Fallait-il m’accuser d’orgueil ou dire au contraire pour ma défense que je cherchais dans les êtres la révélation d’une âme universelle ? Hélas ! à peine de temps en temps, pouvais-je à nouveau découvrir ce petit tas d’os, de papilles à jouir, d’idées confuses et de sentiments clairs qui portaient mon nom.

Lacs de déceptions que j’avais crus miroirs, comment aimer encore les yeux étrangers ?

Or un jour, ce que je vis en transparence, et dans mes yeux cette fois, ce fut leurs yeux, les yeux des autres. Les autres dont je ne pouvais croire qu’ils existassent et qui pourtant triomphaient de moi.

Dès lors, comment ne pas souhaiter la minute où, libre de toute pensée, il me serait possible de me débarrasser du souvenir même ?

D’où les besognes du jour et les jeux de la nuit.

Hélas ! mosaïque de simulacres qui ne saurait tenir, les actes de la vie courante, si habile et si sûre en pût au premier regard sembler la combinaison, se disloquaient pour laisser voir le mal originel.

Et ce furent de douloureuses surprises dans les travaux et les fêtes.
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