Citations de René Passeron (13)
Mais tous les hommes spécialisés, du savant (astronome, physicien, biologiste) au paysan (semeur de blé ou cultivateur de vigne), en passant par le médecin, l’aviateur, l’ingénieur et combien d’autres (l’archéologue par exemple) ont leur art de voir. Ils morcellent le réel à leur façon, l’enrichissent d’une culture et d’un savoir – ou de préjugés – qui leur sont propres et y projettent des classifications et des systèmes intellectuels particuliers. (p. 96)
[…] la peinture doit d’abord apparaître (et plaire, par sa seule apparition) avant de dire. (p. 234)
Il y a des arts spéciaux de l’espace ; l’architecture qui dispose et construit dans l’espace, on pourrait dire avec de l’espace, l’art des jardins, la mise en scène, tous les arts de la fête et de la cérémonie et, par la suite, la chorégraphie, enfin la sculpture qui monte dans l’espace un volume sur lequel la lumière glisse et s’accroche. Tout tableau est vu dans un espace mais la peinture n’est pas proprement un art de l’espace, fixée qu’elle est dans les limites d’un plan. (p. 150)
[La touche] recueille… les secrets de la main, ses réflexes les plus intimes, ses tremblements imperceptibles. Vue à la loupe, elle livre les mêmes secrets que ceux de l’écriture. (p. 132)
Nous aimons regarder le peintre mais c’est tout de même la peinture qui est faite pour être regardée. Tout l’art de la contempler (car c’est aussi un art) dans l’immobilité que lui donne le musée consiste à ranimer en elle, à travers les formes expressives qu’elle présente, cette autre vie secrète d’où elle est sortie et dont elle est, en quelque façon, l’indice. Il faut saisir la peinture à l’état naissant. (p. 16)
On ignore, on feint d’ignorer que l’éclair de l’estoc, à la minute de la vérité, n’est que le point final des longues et savantes passes qui ont fatigué l’adversaire. (p. 299)
L’artiste puise des thèmes d’inspiration aux sources même de ce qui donne un contenu à la folie des autres, la peur, l’amour, la soif d’évasion, l’orgueil de soi, l’échec des rêves, la mort, la magnificence et la cruauté du monde, ce que Baudelaire appelait « l’horreur de la vie et l’extase de la vie ». (p. 270)
[…] et pourquoi peindre si ce n’est pour jouir de la vie ? (p. 299-300)
[…] les peintres qui superposent des états successifs et, allant des dessous aux couches superficielles, peignent pour ainsi dire, à reculons. (p. 83)
On sait même combien les ébauches et certaines esquisses, avec ce qu’elles ont d’elliptique, peuvent être plus saisissantes que les toiles trop bien finies. (p. 81)
Vendues, saisies, mises à l’encan, héritées, accaparées, les œuvres peintes ont suivi les cours. Des bourgeois d’Amsterdam s’adjugèrent des Rembrandt (dernière période) pour une dizaine de florins, bien moins cher qu’un oignon de tulipe. (p. 21)
La peinture de chevalet nous semble moins une peinture à brosser sans vertige et à regarder de près (Le Jugement dernier de Van der Weyden, à l’Hospice de Beaune, comme bien d’autres retables, peut être regardé à la loupe, l’artiste y a peint mystiquement des détails invisibles à l’œil nu)… (p. 20)
Si donc l’esprit est dans les œuvres et n’est « que dans et par les œuvres », la diversité de celles-ci, dès le départ, comme les cheminements, ruptures, bonds en avant, recul, etc., qu’elles présentent dans l’histoire, offrent au psychologue le plus riche des phénomènes humains positifs qu’il puisse étudier. (p. 8)