Renée Balibar

Bien entendu Fernand Brunot, né Lorrain, formé dans l'enseignement secondaire et supérieur, savait "le français" dans la mesure où il savait lui associer "le latin et le grec", "l'allemand et l'anglais" pour maîtriser les règles de la syntaxe et de l'expressivité. Il a donc supprimé imaginairement sa fonction universitaire internationale au service d'une langue nationale illusoirement référée au latin seul.

Mais en s'exprimant ainsi, en limitant ainsi le champ de leurs études, ils conçoivent trop étroitement le problème de l'authenticité. (italique pour ce qui suis) : Ils négligent l'essentiel de l'affaire de Strasbourg : la création délibérée dans le domaine du Droit ( fin ital.) L'"authenticité" est avant tout un terme de Droit emprunté par la langue française au latin et au grec juridiques écrits selon les règles au cours des siècles, qui n'a cessé de désigner, comme le dit aujourd'hui officiellement le dictionnaire "la qualité d'un acte reçu avec les solennités requises par un officier public compétent et capable d'instrumenter"p24

prologue (...) Notre sous-titre : "Essai sur le colinguisme, signale que nous avons forgé un concept indispensable à notre étude. Le terme de "colinguisme" désigne l'association de certaines langues d'Etat dans un appareil de langues où elles trouvent leur légitimité et leur matière à exercice." Sans cette association, ouverte ou latente, et sans les pratiques correspondantes (traduction, grammatisation) sur lesquelles nous reviendrons en détail, la norme linguistique ne peut ni être instituée, ni fonctionner, c'est-à-dire qu'elle n'existe tout simplement pas.

L'ambiguÏté dans les termes, qui a fait désigner du même nom, et même de deux synonymes (le français, la langue française), soit la langue de l'Etat en France, soit l'ensemble de toutes les diverses pratiques du français, n'est pas due au hasard. Car la pratique normative (celle qui est enseignée officiellement et qui relève de l'Etat) est la clé du système.

prologue (...) Rien d'étonnant si ce programme paraît banal, te que nous le résumons en avant-propose. Car nous n'avons pas inventé les grands événements qui jalonnent l'histoire de la langue française. Nous avons pourtant entrepris de réactiver le choix des moments décisifs, et de changer radicalement le point de vue des analyses.

Ce n'est pas un hasard que les serments de Strasbourg sont contemporains d'un ouvrage considéré artistiquement "littéraire" : la cantilène de Sainte-Eulalie. Dès lors nous pouvons faire un pas de plus et reconstituer les instruments, les méthodes qui ont servi à réaliser cette composition délibérée.p52

De ses années d'école, elle dira près de 60 ans plus tard : « Les jeunes filles y étaient acceptées en surnombre, nous n'existions pas (...). Il y avait réellement un régime d'apartheid. On ne portait pas le voile, mais on était vraiment exclues du manger, du boire et même du voir. »

L'institution du français a son histoire. Ferdinand Brunot l'a étudiée dans l'"Histoire de la langue française", une quinzaine de volumes émanant de l'Unversité française, un ouvrage qui est lui-même une institution de la Troisième république (...)