Citations de Revue D`ici là (55)
Et si je suis sidéré, si j’écris sur la sidération qui est la mienne, c’est pour dire ceci : que j’attends que le temps devienne souverain où je demeurerai dans la beauté des choses, y ayant demeuré, l’ayant connue comme le règne dont procède et auquel se rendra, déposant les armes d’un beau combat vain, mon être.
Toi qui va demeurer dans la beauté des choses, y demeurer enfin
Y demeurer enfin depuis la fin d’une vie belle d’arrachement libre
(Emmanuel Tugny)
le cœur
son expression, & le désir d’en finir, vite — vite, avec
avoir du cœur
est expression expressive, & le désir d’en finir — avec
voir les gondoles à, le printemps sur, on se sent bien
de matériaux recyclés & de bambous
le cœur... (Christophe Marchand-Kiss)
La rampe simple piquée de rouille sous les couches de peinture.
Le vent dans les rayures bleues des parasols : tout est immobile sinon le souffle vers la mer.
Un hôtel sur la plage à l’arrière saison comment il est ancré on pense à une tortue vieille. En vigile du monde.
(Jeremy Liron)
On peut augurer avec la sainte que la ville finira en cendres, mais sans l’avantage d’être canonisé comme elle, on se sent solidaire à la fois des ruines, des peuples malheureux de Prè, ou de la femme en pleurs qui fait la manche du côté des palais de jadis, aujourd’hui labélisés Unesco.
(Benoît Vincent)
Je reviens,
j’avance comme je peux, c’est la brume tenace, le froid sur les avenues vides, le craquement du gel,
ce sont les deux visages surgis de la bouche d’égout, serrés l’un contre l’autre, le père & l’enfant, lèvres fumantes, regards fixes
par-delà quel soleil craché, quelle salive éblouissante sur les trottoirs interminables, quel ciel borgne & ses essaims de mouches purulentes,
ce sont les ongles rongés, le peu d’assurance qui vacille, dans la chambre les draps froissés, les cachets & le verre d’eau
c’est ce crépuscule qu’est toute vie humaine,
l’oubli qui me traverse, les perspectives qui se défont & je suis là, face à l’impitoyable, sans rien d’autre que mes yeux qui s’obscurcissent ou mes mains qui tremblent un peu
(Jacques Ancet)
Défaite, échec et mat, ne reste qu’un terrain vague, vague, vagues de brume, le plat pays, c’est quand la mer ? vague vague le terrain, les camions martelaient le sol, avant, contournaient la fonderie pour livrer leur tonnage de métal, des caisses lourdes de roues, engrenages, vieilles machines à coudre
(Christine Jeanney)
Tant de destructions pour rien, jadis. Il nous arrive bien de rayer de la carte telle ou telle ville provisoirement ennemie – car toutes nos animosités sont transitoires et motivées par la seule objectivité économique –, mais ne comptez pas sur nous pour renier les droits de l’Homme
(Laurent Margantin)
Les villes sont les contes que nous écrivons pour croire encore que quelque chose est possible, qu’il y a des lieux où nous pouvons croiser d’autres nous qui seraient autres tout en parlant la même langue que nous, cette langue qui ne se prononce pas et que l’on porte dans ses yeux sans en connaître la grammaire et pas tellement plus les sons.
(Daniel Bourrion)
la voilà au grand pré des cévennes causse méjan près de Marvejols
tu la vois cueillir les myrtilles violettes dans les buissons
tu le vois l’enfant aux joues d’un rose proche de la couleur
rose du bois aux murs de la maison granit et toit de lauzes
tu la manges la tomme de vache de madame Vanel (Maryse Hache)
Juste là, au bord, sur le fil du présent. Garder mémoire d’un éblouissement. Faire advenir l’imprévisible. Les lieux et temps de sa venue. À la rencontre des autres. Les marches, les pas. (Pierre Ménard)
La grande lame viendra. Je sais. Vous aussi vous savez. Mais je me demande, et c'est une grande première : est-ce qu'elle viendra de l'intérieur des terres ? (Juliette Mezenc)
dans l’illusion
où le dormeur
dans quel théâtre impossible
en allé
ou Cumes ou Delphes
ou quelle bouche d’ombre in-
connue
perdue dans le sans nom
(Jean-Yves Fick
La porte, les deux fenêtres
la géométrie décalée
du fer qui les occulte
« Erbaut 1872 »
la mémoire la seule lampe
le thrène à l’inconnu
qui se penche
et lit
et pleure
(Jean-Yves Fick)
La nuit compte six octets - nuit de pierres où dort l'eau
nos sextants décuplés - n'en sont qu'un pâle reflet - Greg Noirot
La forme de la ville me prend, mais je m’interroge sur comment j’en décris peu, sur comment j’en décris rien. On ne parvient pas à savoir si c’est la distance ou l’étendue, si ce sont les vicissitudes ou le destin, si c’est une figure ou l’autre qui tranche et propose lecture.
(Benoît Vincent)
un bout de rue fantôme, avec ses drôles de ruines qu’on préférerait ne pas contempler, qu’on finira par effacer, sur lesquelles on bâtira peut-être à nouveau des maisons et des projets de vie de famille ou de vacances
(Christophe Grossi)
Un carré d’herbe pas loin du carrefour, au centre du carré l’arbre aux dormeuses, là le corps fatigué se couche au pied de l’arbre parfois seule, parfois avec deux ou trois autres femmes errantes.
(Ana NB)
Ils ne reconnaissent dans les rues
ni le bruit d’une rue ni leurs pas et les choses s’en vont à l’instar d’un bateau qui coule dans le port
(Jan Baetens)
Quelle histoire humaine se déplace dans la ville – quels noms ces herbes au pied des murs – quelle histoire végétale aux pieds des arbres – quelle herbe dans quelle rue quand quelle femme passe.
(Maryse Hache)
le CentQuatre bâché, bouclé aux regards, semblait vouloir avaler le trottoir, se précipiter sur les corps (passants inattentifs, insoucieux de leur avenir) avant de les jeter sur les rails de la gare
(Anne Savelli)