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Citation de Cielvariable


Malgré ma rage, je dus admettre que Dimitri Beli-machin-chose était intelligent. Il nous conduisit à l'aéroport, nous fit embarquer dans le jet privé de l'académie et exigea aussitôt qu'on nous sépare.

— Ne les laissez pas se parler, ordonna-t-il aux gardiens qui nous conduisaient à nos sièges. Il leur suffirait de cinq minutes pour mettre au point un plan d'évasion.

Même si nous avions bel et bien commencé à conspirer, je lui décochai un regard hautain avant de me laisser entraîner.

À ce moment de l'intrigue, la situation de vos héros, ou plutôt de vos héroïnes, en l'occurrence, n’était guère brillante. Après le décollage, nos chances de leur échapper diminuèrent considérablement. Même si un miracle m'avait permis de neutraliser les dix gardiens, nous aurions encore dû trouver un moyen de sortir de cet avion. Je me doutais bien qu'il devait y avoir des parachutes quelque part, mais, en admettant même que je sois capable d'en actionner un, nous serions tombées au beau milieu des Rocheuses, avec des chances de survie assez minces.

Non, nous n'allions pas quitter cet avion avant qu'il ait atterri dans les forêts du Montana. C'était de là-bas que nous allions devoir nous enfuir, c'est-à-dire d'un endroit protégé par la magie et dix fois plus de gardiens. Un jeu d'enfant...

Lissa avait été installée à l'avant de l'appareil, près du Russe. Malgré la distance entre nos deux sièges, sa peur martelait l'intérieur de mon crâne, au point que l'inquiétude ne tarda pas à prendre le dessus sur ma colère. Ils ne pouvaient pas la ramener là-bas... Dimitri aurait-il hésité à remplir sa mission s'il avait ressenti ce que je ressentais et bien compris la situation ? Sûrement pas... Ce n'était pas son problème.

Les émotions de Lissa devinrent si puissantes que j'eus bientôt l'impression déstabilisante d'être assise à sa place, voire dans sa peau. Cela arrivait parfois, en général sans que je m'y attende. Je me retrouvai donc assise à côté de la masse impressionnante de Dimitri, une bouteille d'eau dans la main – dans sa main. Lorsqu'il se pencha pour ramasser quelque chose, j'aperçus six symboles tatoués sur sa nuque: ses molnija. Ils ressemblaient à des éclairs entrecroisés et tenaient le compte des Strigoï qu'il avait éliminés. Une ligne sinueuse s'étirait au-dessus de ceux-ci : la marque de la Promesse, qu'il avait reçue le jour où il était devenu gardien.

Je clignai des yeux, puis regagnai péniblement ma propre peau. Je détestais que cela se produise. Le fait de ressentir les émotions de Lissa avait ses avantages, mais ces moments de fusion nous contrariaient l'une et l'autre. Comme elle les considérait comme des violations de son intimité, j'avais pris l'habitude de les lui cacher. Ni elle ni moi ne pouvions contrôler ce phénomène : c'était l'un des effets secondaires d'un lien que nous comprenions mal. Certaines légendes évoquaient bien l'existence d'un lien psychique entre des Moroï et leurs gardiens, mais aucune des histoires que j'avais entendues ne ressemblait à ce qui nous arrivait. Nous étions donc obligées de nous débrouiller avec au jour le jour... Vers la fin du vol, Dimitri vint prendre la place du gardien qui me surveillait. Je tournai ostensiblement la tête vers le hublot.

— Avais-tu vraiment l'intention de nous attaquer tous ? me demanda-t-il après un long silence.
Je ne me donnai pas la peine de répondre.
— C'était très... courageux. (Il hésita.) Stupide, mais tout de même courageux. Pourquoi as-tu seulement essayé ?
Je me tournai vers lui, et repoussai une mèche de cheveux pour le regarder droit dans les yeux.
— Parce que je suis sa gardienne, répondis-je, avant de revenir au hublot.

De longues minutes de silence s'écoulèrent avant qu'il se résigne à regagner son siège.

Dès que nous eûmes atterri, le commando nous conduisit directement à l'académie. Notre voiture s'arrêta quelques instants à la grille afin que d'autres gardiens s'assurent que nous n'étions pas des Strigoï venus commettre un massacre. Après quelques échanges de politesse, ils nous laissèrent au campus, que les ombres du crépuscule commençaient à envahir. C'était le début de la journée pour les vampires.

L'académie était exactement comme dans mon souvenir: gothique et immense. Les Moroï étaient des enragés de la tradition; avec eux, on pouvait être certain que rien ne changerait jamais. Cette institution n'était pas aussi ancienne que les académies européennes, mais elle avait été construite dans le même style. Les bâtiments à l'architecture compliquée, ornés de statues et de gargouilles, rappelaient les édifices religieux. De petits jardins et des passages mystérieux se dissimulaient çà et là derrière des grilles en fer forgé. Après avoir vécu sur d'autres campus, je pouvais apprécier à sa juste valeur la majesté de celui-ci.

Le site était divisé en deux secteurs: l'un réservé au collège, l'autre au lycée. Chacun était constitué de bâtiments, encadrant une vaste cour de verdure rectangulaire plantée d'arbres centenaires, et sillonnée de chemins pavés. On nous conduisit directement dans la section du lycée. Les salles de cours s'élevaient d'un côté, tandis que le dortoir des dhampirs et le gymnase occupaient le côté opposé. Le dortoir des Moroï se dressait à l'une des extrémités de l'immense rectangle, tandis que les bâtiments administratifs, communs aux deux sections, lui faisaient face. Les élèves du collège dormaient de l'autre côté de l'académie.

Tout autour, l'espace s'étirait à l'infini. Après tout, nous étions dans le Montana, à des kilomètres de toute civilisation. L'air froid était chargé d'une odeur de sapin et de feuilles mortes. La forêt encerclait l'académie et l'on pouvait voir les montagnes à l'horizon si l'on était réveillé pendant la journée.

Lorsque les bâtiments administratifs furent en vue, j'échappai à mon gardien pour rattraper Dimitri.

— Hé ! Camarade !
— Tu as envie de parler, maintenant ? riposta-t-il sans me regarder.
— Est-ce que tu nous emmènes chez Kirova ?
— Chez Mme le proviseur, me corrigea-t-il.

Lissa, qui marchait près de lui, me décocha un regard qui signifiait : « ne commence pas ! » — Mme le proviseur, si tu veux... Ça ne l'empêche pas d'être une vieille peau mal...
Mon flot d'insultes se tarit dès que les gardiens nous introduisirent dans le réfectoire. Je soupirai. Ces gens étaient-ils vraiment si cruels ? Il devait bien y avoir une dizaine de manières d'accéder au bureau de Kirova. Pourquoi nous faisaient-ils passer par là ?

Et c'était l'heure du petit déjeuner.

Les apprentis gardiens, des dhampirs, tout comme moi, et les Moroï se mêlaient pour manger et discuter des derniers ragots qui agitaient l'académie. Notre apparition interrompit instantanément toutes les conversations, comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur. Des centaines de regards se tournèrent vers nous.

Je décochai un sourire en coin à mes anciens camarades de classe en essayant de mesurer à quel point les choses avaient changé. Non. Tout semblait parfaitement à sa place. Camille Conta, cheftaine autoproclamée de la clique des Moroï de sang royal, ressemblait toujours à la peste parfaitement coiffée et maquillée de mon souvenir. Natalie, la cousine empotée de Lissa, nous regarda passer avec des yeux écarquillés. Apparemment, elle n'avait rien perdu de sa naïveté.

De l'autre côté de la salle... Voilà qui était intéressant. Aaron. Le pauvre Aaron, à qui le départ de Lissa avait dû briser le cœur. Il était toujours aussi mignon, peut-être même davantage, avec ses boucles blondes si bien assorties à celles de Lissa. Il épiait ses moindres gestes. Non: il ne l'avait pas oubliée. C'était triste, d'ailleurs, puisque Lissa n'avait jamais été aussi éprise de lui que lui d'elle. À l'époque, j'avais surtout eu l'impression qu'elle était sortie avec lui parce qu'il semblait le candidat le plus logique.

Il y avait plus intéressant encore: Aaron semblait avoir trouvé un moyen de tuer le temps en son absence. Il tenait la main d'une Moroï qui paraissait avoir onze ans mais devait en avoir plus, à moins qu'il soit devenu pédophile durant notre absence. Ses joues bien rondes et ses anglaises lui donnaient l'air d'une poupée de porcelaine. Elle suivit Lissa des yeux avec tant de haine dans le regard que j'en restai bouche bée. Mais que lui voulait-elle ? J'étais presque certaine de ne l'avoir jamais vue. Elle devait être jalouse de l'ex-petite amie... J'avoue que je n'aimerais pas non plus que mon copain regarde une fille avec ces yeux-là.

J'éprouvai un certain soulagement lorsque notre calvaire prit fin, même si notre destination, le bureau de Mme le proviseur Kirova, n'offrait pas une perspective très réjouissante. La vieille bique n'avait pas changé non plus : son nez busqué et ses cheveux gris étaient exactement tels que dans mon souvenir. Elle était grande et mince, comme la plupart des Moroï, et m'avait toujours fait penser à un vautour. Le temps que j'avais passé dans son bureau m'avait permis de bien la connaître.
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