L'amante (II), Robert Mélançon
lu par l'auteur
Le lecteur qui a levé les yeux de son livre
perçoit le ciel qui est l’océan vrai,
L’étendue immense de bleu qui enserre
Toute la terre, au bout de quoi on tomberait
Hors de tout, si on trouvait ce bout.
Un énorme nuage blanc figure
La crête d.écume d’une vague, elle se brise
Et s’effiloche tandis que passent deux goélands
Dans l’espace concave où le bleu va et vient.
Avant qu’il ait retrouvé le fil de la phrase
Qu’il avait laissée,ce lecteur aura scandé
L’iambe suprême d’un après-midi d’été.
Un trait tiré à la règle entre deux champs de bleu
Suffit à faire un paysage marin, minimaliste
Mais paysage tout de même si le contemplateur,
Qu’on perçoit de dos comme dans Friedrich,
Y met un peu de bonne volonté. Manquait le mouvement
Des vagues, au bas, toujours au bas, frangées d’écume,
Qu’on vient d’ajouter. Du coup, arrivent le bruit
Du ressac, l’air froid, salin, parfumé de varech,
Le vent qui souffle du large, l’embrouillamini
De la lumière dans le prisme mobile des houles,
Et cette pâleur du ciel, qui n’est pas si bleu que ça
À travers le filtre de l’air vaporisé d’embruns.
Par-dessus les corniches et les cheminées,
Le printemps déploie un ciel strié
De nuages que tout le prisme éclabousse.
On vient de passer l’équinoxe,on va
Dans la rue élargie vers les jours étales
Du solstice, vers le soleil des écoliers.
Une flaque laissée par mars recueille
L’espace vert et rose que l’aurore repeint
Chaque jour de plus en plus tôt.
Pour un peu on verrait dans ce miroir,
Entre les voitures qu’embue la rosée,
Des îles, des dômes d’or, des fleurs.
« Un classique est un livre du passé qu'on lit aujourd'hui. » (p. 15)
« Toute personne cultivée les connaît, les a lus, peut les citer, reconnaître les allusions qui leur sont faites, les situer dans l'histoire de la littérature, ou elle devrait pouvoir faire tout cela. » (p. 20)
« Les classiques ne sont pas figés dans l'éternité des valeurs pérennes ; chaque époque en établit une liste partiellement nouvelle et en prend de nouvelles lectures selon les désirs, les passions et les goûts des lecteurs contemporains. » (p. 24)
On entend des cris de mouettes qui donnent
À la ville une atmosphère maritime, loin,
Très loin de lamer. Des nuages striés moulent
Dans l’étendue bleue des crêtes d’écume.
Manquent l’air iodé, l’odeur du varech.
Mais le vent souffle du nord-ouest
Avec entêtement. S’il pleuvait, tout
Prendrait une épaisseur d’humidité
Qui donnerait le change. On fermerai
Les yeux, on respirerait profondément.
Cela suffirait : en se tournant
Face au vent, on croirait sentir le large.
On est allé au bord du fleuve voir
La nuit couler, le temps s’en aller
Entre les berges noyées par l’obscurité.
Le vent coulait, l’air coulait,
Le noir qui était tout l’espace
Immense coulait de partout.
On n’entendait que l’eau, on aurait dit
Que toute l’obscurité se dilatait,
Qu’elle se faisait fontaine, qu’elle se versait
En elle-même, dans les ténèbres redondantes.
Dans l’air ondoyant, dans la nuit fluide,
Dans le fleuve fustigé de reflets.
L’amante
Tant que la neige éclairera l’hiver,
Tant que le jour alternera
Avec la nuit qui le chasse et le fuit,
Tant que la rue s’emplira de rumeurs,
Et tant qu’entre ses rives coulera
Le Saint-Laurent irréfutable où passe
Ma ville parmi les nuées, je serai tien
Plus qu’au corps n’appartient l’ombre.
Mais nous passerons comme la neige,
Comme la lumière et les ténèbres,
Avec cette ville et son fleuve.
reflet du ciel
sur la table vitrée
j’écris sur la lune
Le verger perdu
Il n’est plus une enceinte où je pénètre.
Le jour n’y verse plus la lumière
Qui coule dans la rue.
Ni que diffuse la fenêtre. Le silence
D’une autre solitude que l’absence
Y recueille une autre rumeur que l’été.
Mais il n’est pas un lieu sans lieu, un espace
Sans espace, ni un temps sans cours,
Puisqu’il déploie autour de ton vrai corps
L’aube qui me suscite.
Septembre
Soir au soleil lent,
Je suis venu à toi
Par tout un jour de patience
Pour trouver l’orme
Où l’automne commence;
L’été persiste au cœur plus
Vert que juin et forêt mais
Autour de nous promet
Le rien ainsi qu’un ciel
Crépusculaire plus
Illuminé que midi et raison prépare
Le noir qu’approfondiront
Les étoiles froides.