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Citation de Cannetille


Il eut un rire bref. Rodin claqua une motte d’argile sur le buste et marmonna quelque chose d’inintelligible.
« Pardon ? dit Mahler.
– Si monsieur voulait bien avoir l’obligeance de rester immobile, traduisit Claire de Choiseul.
– C’est bon, dit-il.
– Non, justement, cela n’est pas bon, dit Claire. Nous voulons que le travail avance, n’est-ce pas ?
– Qui ça nous ?
– Nous tous ici dedans et la plupart d’entre nous dehors. Tant que nous n’avançons pas ici dedans, le monde dehors tourne au ralenti.
– Puisse-t-il cesser complètement de tourner, dit Mahler. Voilà qui réglerait bien des choses.
– Ne l’écoutez pas, intervint Alma. Il est un peu fatigué.
– C’est faux, objecta Mahler. Je n’ai jamais été aussi en forme.
– Tais-toi ! dit Rodin. Tais-toi, putain ! *
– Que dit-il ? demanda Mahler.
– Il vous prie encore instamment de rester immobile, dit Claire. La journée n’est pas terminée.
– Elle semble même partie pour être interminable, dit Mahler. Mais bon, je m’en vais rester assis sans bouger. Jusqu’à ce que mort s’ensuive.
– Gustav, s’il te plaît, fais un effort !
– Mais pourquoi donc, c’est la solution : rester immobile jusqu’à la fin des temps. Vous pourrez m’embaumer ou m’empailler ou les deux. Ça nous épargnera tout ce travail avec ce buste. Sans parler du coût.
– Ne l’écoutez pas, dit Alma.
– Nous faisons notre possible, dit Claire.
– Mais sûrement pas l’impossible, dit Mahler.
– De quoi parlent-ils, ces idiots ? *» demanda Rodin.
Ses yeux étaient injectés de sang, les poils de sa barbe tressaillaient autour de sa bouche.
« De rien, dit Claire. Monsieur fantasme sur la mort *. »
Rodin secoua la tête. Puis il se leva, marcha vers la sculpture à moitié terminée d’un satyre qui émergeait du sol, et lui asséna un coup de pied magistral. Il ne se calma que lorsque Claire se fut approchée doucement de lui par-derrière, pour lui passer les bras autour du cou et lui souffler quelques mots à l’oreille d’une voix contenue mais pressante. Sans un regard pour le satyre anéanti, il revint au buste. Il rectifia encore une fois la racine des cheveux, passa l’index en travers du front, puis il s’affaissa sur lui-même, le souffle rauque, et ferma les yeux.
« Qu’est-ce qui se passe encore, maintenant ? demanda Mahler.
– Le maître a terminé, dit Claire en se levant de sa chaise. Il faut que cela sèche à présent et que ce soit moulé. Le buste vous arrivera par la poste.
– Et l’histoire finit bien, à la bonne heure, s’écria Mahler en sautant de son trépied. Allons-y, Alma ! »
(* en français dans le texte)
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