Author Series: Rod Nordland's "The Lovers: Afghanistan's Romeo & Juliet"
Des artisans de l’Antiquité ont taillé ces statues monumentales au marteau, au pic et au ciseau, une œuvre de la passion, et qui survécut une éternité. À travers les âges, Solsal et Shahmama demeurèrent les deux plus grands bouddhas debout de la planète4. Ils étaient vieux de quatorze siècles quand, en 2001, en quelques jours, les talibans les détruisirent : ils alignèrent leurs chars d’assaut face aux falaises, avant de les achever au moyen de charges explosives5. Tant qu’il resta au pouvoir, le régime des talibans sema la dévastation dans cette vallée et, motivé par la haine de leurs origines ethniques (asiatiques plutôt qu’indo-européennes) et de leur religion (musulmane, mais chiite plutôt que sunnite), massacra des milliers d’Hazaras qui vivaient là. Il ne pouvait toutefois détruire la totalité de cette immense falaise de grès qui reste une vision saisissante, avec ses tons fauves et mordorés dont les reflets sont perceptibles même dans l’obscurité.
Étant tous illettrés, sauf le religieux, ils appuieraient leur pouce sur un tampon encreur et apposeraient ensuite leur empreinte en guise de signatures. Les termes du neka préciseraient que, lors de la noce, Zakia, fille de Zaman, du village de Kham-e-Kalak, recevrait de la famille d’Ali 100 000 afghanis (soit à l’époque 1 800 dollars) et un jreeb de terre (à peu près vingt ares). En temps normal, même s’il est officiellement notifié à la femme, un tel règlement en numéraire, versé à la mariée, reviendrait à son père, la pratique de la dot étant officiellement illégale. Parfois, une petite part de la somme servait à lui acheter des bijoux, mais cela restait à l’entière discrétion paternelle.
« J’ai escaladé ces murs sur les ailes légères de l’amour : car les limites de pierre ne sauraient arrêter l’amour, et ce que l’amour peut faire, l’amour ose le tenter ; voilà pourquoi tes parents ne sont pas un obstacle pour moi. »
Roméo et Juliette.
Ce n’était pas une mince affaire, même si elle avait 18 ans et si, légalement, elle était adulte, pensionnaire volontaire et non prisonnière de cet asile et donc, selon les termes de la loi afghane, libre d’aller où bon lui semblait. Mais la loi n’est que ce que les hommes en font, et ce n’est nulle part plus vrai qu’en Afghanistan. L’acte que Zakia était sur le point de commettre ne transformerait pas seulement sa vie et celle d’Ali, qui attendait son appel à l’autre bout de la vallée de Bâmiyân. Elle savait que cela bouleverserait l’existence de presque tous les êtres qu’elle aimait.
Une femme seule, sur la voie publique à 1 heure du matin, risquait de se faire arrêter, pas seulement par la police mais par n’importe quel individu de sexe masculin passant par là et qui aurait envie de faire justice lui-même – ou pire encore. Dans une société où le viol n’était souvent pas considéré comme un crime si la femme était seule, le pire était à craindre.
Mais la loi n'est que ce que les hommes en font, et ce n'est nulle part plus vrai qu'en Afghanistan.