Comment lire Proust avec Roland Cailleux.
Petit morceau qui ne sait rien du monde,
Mon oisillon, mon recroquevillé...
J'attends, j'entends le cri de ta naissance,
Ton poing crispé et tes yeux aveuglés.
Je ne sais rien de ce qui nous rassemble.
Je connaissais la vie, le mal, les hommes
Et cependant voilà que je t'ai fait.
Quand je suis au spectacle, avant que rien ait commencé, et même quelquefois pendant qu'on joue, je me répète sans arrêt : "Cette fois, tu y es enfin. Comme tu les as bien attendues, ces trois heures ! N'oublie rien, tu ne pourras jamais être plus heureux."
Dans toutes les marelles dessinées à la craie sur le trottoir, elle met le pied dans le ciel sans se faire remarquer.
Quand on aime, on ne ressemble à aucun autre. Je ne sens rien de ce que j'imaginais.
Une femme abandonnée à vous semble le trop beau jouet offert à un enfant pauvre.
Je vois dans ses yeux un tel amour que je me demande s'il est pour moi ou pour cet autre que j'ai été en face d'elle.
Je suis stupéfait d'être là, d'être préféré.
Je ne sais pas utiliser mes connaissances dans la conversation. J'aime mieux me taire que me répéter. Je pense à mon ange gardien qui sait l'histoire par coeur.
Avec beaucoup de volonté on arrive à tout. Ainsi, Mozart aurait pu devenir excellent cuisinier !
...et dans mes bras une enfant silencieuse qui s'accroche à moi du commencement à la fin des naufrages nocturnes. Les yeux fermés, elle se déploie dans l'obscurité comme une algue dans la mer. Je pars à la découverte, en dehors du temps. [...]
J'ai une bête qui vit à mon cou, et j'ai le corps de la bête dans ma main. Je ne me dégagerai pas de cette étreinte et veux ne m'en relever jamais. [...] Je vais de toi à toi en reconnaissance, sans m'y reconnaître jamais. [...]
Il fait bon respirer à sa cadence. C'est la saison des droits de l'homme. Je ronronne dans l'attente. Ses expirations sont là-haut celles des agonisants. Elle me happe par les cheveux et je remonte comme un noyé. Enlaçons-nous de façon à ne plus nous dénouer l'un de l'autre. J'aspire son air d'héliotrope. Avoir appris à respirer ensemble. Mon enfant roi, ma maîtresse chatte. Les ondes attendent les ricochets. Es-tu bien ? Veux-tu que je vienne? Que je t'oublie enfin ? [...]
Ensuite on a l'un pour l'autre des soins de grands blessés. Ne bouge pas, n'ouvre pas les yeux. Le ciel a visité la terre. [...] Nous sommes rompus l'un à l'autre. Et voici que bientôt le fond du coeur va se livrer. Je vais dire l'impossible.
Pourtant quand on aime, il semble que son amour soit sans limite. On a toujours l'impression de ne pas avoir assez donné.
« On n’est pas une minute tranquille. La mer est pleine d’agités, et je ne dis rien du plancton. » (p. 39)
Quand on pense combien la vie est courte, comme le temps d'aimer nous est mesuré, on devrait avoir horreur des pertes de temps. Or l'analyse de l'amour n'est pas autre chose. On perd en paroles les heures qu'il faudrait consacrer à aimer... Ce qu'on dit n'a pas d'importance, c'est ce qu'on ne dit pas qui est tout.
« Le cadeau est souvent fait sans amour, justement pour masquer l’indifférence. Mais si l’être aimé souffre de vous aimer moins, son intention est peut-être meilleure. Il fait ce qu’il peut. » (p. 25)