Roland Lapointe

Rien à faire, quelque chose les retient. La douleur est pas mal intense quand je bouge la tête pour m’apercevoir que mes poignets sont attachés au cadre du lit. J’ai une marge de mouvement de quelques centimètres à peine qui me sert à sweet fuck all. Je vais être dans la merde en ciboire si jamais j’ai besoin de me gratter le nez. J’ouvre les deux mains en direction du docteur.

« Dans mon temps »… Ça me fait rire pis ça me déprime chaque fois que je m’entends dire ça. J’ai l’impression d’entendre mon grand-père qui essayait toujours de me convaincre que je me plaignais pour rien quand j’étais plus jeune : « moé, dans mon temps, je marchais cinq milles pour aller à l’école », « tu penses que ça, c’est d’la neige, dans mon temps, on avait des bancs de neige qui montaient jusqu’au deuxième », ou encore « comment ça, tu veux un ordinateur pour ta fête, dans mon temps, on jouait avec des pommes pis des oranges ».

J’avoue que j’ai toujours eu un petit faible pour les femmes qui portent une camisole avec un jeans… surtout une camisole noire… Je sais pas, ça leur donne un petit look rockeuse ou rebelle, pis j’aime ça. J’étais en train de contempler la courbe de sa nuque, le fin duvet qui se dressait, presque invisible, sur sa peau, quand mes yeux ont été attirés par un léger mouvement. Sur le coup, j’ai pensé que c’était une araignée ou un insecte quelconque qui lui grimpait dans le dos.

Il m’a enseigné que lorsque les prédateurs arrivent, certaines proies essaient de se pousser. C’est instinctif. C’est dans leurs gènes. Elles ont pas le choix. Ben, c’est celles-là qui se font manger à tout coup. D’autres choisissent l’invisibilité. T’sais que les yeux de la plupart des prédateurs ont génétiquement évolué au cours des millénaires pour détecter le mouvement ? Si tu bouges pas, c’est comme si t’étais pas là.

Cassandre m’a regardé avec un sourire amusé. Si ç’avait été juste de ça, j’en aurais pas fait de cas, mais son petit clin d’œil flirty m’a un peu secoué. Ça m’a pris une bonne couple de minutes pour m’en remettre… C’est pas comme si je m’étais jamais fait cruiser par une belle femme, mais ça faisait longtemps. J’avais perdu l’habitude. J’étais pas trop certain si j’imaginais des affaires ou pas.

J’utilise tout mon pouvoir de concentration, à la limite de perdre connaissance, pour pas lâcher un cri de mort. C’est pas une bonne idée d’attirer tout le staff médical dans ta chambre quand t’essaies de t’échapper. Je me laisse retomber sur mon oreiller, le temps de reprendre mon souffle. Je transpire comme un cochon, pis je suis pas encore certain si je vais tourner de l’œil ou pas.

Je peux pas m’empêcher d’imaginer que tout ceci est juste une ruse pour que je devienne un fugitif. On voit souvent ça dans les films. On dit au gars « c’est beau, va-t’en », pis aussitôt qu’il se met à courir, il reçoit une balle dans le dos. J’imagine déjà les grands titres de demain : « Un ex-policier meurtrier se fait descendre pendant qu’il essayait de fuir… » Affaire classée…

Mon univers s’effondre. J’ai l’impression que je vais m’évanouir. Mon corps se rebelle. J’ai l’estomac qui vient de se tordre à me faire plier en deux. J’ai envie de lui sauter au cou pour le faire parler, mais mes poignets sont encore attachés au cadre de ce fuckin’ lit. Les muscles de mes bras se tendent à m’arracher les épaules, mais les sangles tiennent bon.

Délicatement, j’ai ouvert la lame de mon couteau… Rien d’impressionnant, pas illégal du tout, un simple canif avec une toute petite lame à peine plus longue que la paume de ma main. Je l’utilise normalement pour ouvrir mon courrier ou des trucs comme ça… Même pas assez long pour tuer… mais juste parfait pour neutraliser un homme si tu sais comment l’utiliser.

Mon cerveau s’était mis à off, pis j’avais décidé de profiter du temps qui me restait pour une dernière escapade. Je savais que j’allais mourir, pis je voulais surtout pas rester dans un coin à brailler sur mon sort. J’avais des choses à faire, des gens à voir. Vivre mes derniers mois à fond, j’imagine. Mais là… ouf… c’est juste trop. J’ai trop mal.