Dès la lecture des premières pages, je ressens une atmosphère bien étrange. Je décide aussitôt de prendre le train pour me plonger dans une ville, avec ses bruits, ses regards, ses gens.
Et au sortir de la gare d’Anvers, mes pas me guident instinctivement vers la droite, là vers cette avenue dont les étals bariolés et biens achalandés font la joie d’une population hétéroclite. Toutes les lamentations du ciel me tombent dessus et heureusement, guidé par une aubaine instinctive, je me précipite dans l’antre d’une boutique de la Carnotstraat. Et c’est sous la protection d’un « Eider » surdimensionné que mon périple me plonge dans un des mondes de l’absente.
Un parfum de muguet embaume cette matinée humide, et pourtant les derniers brins présentent déjà signes de décrépitude sous les premiers rayons de soleil.
Sur le banc qui me tend les bras, je m’assieds et replonge dans cette lecture abandonnée sans préavis le matin même.
Pendant que partait celle qui sera désormais « l’absente », il revivait un souvenir olfactif …ces pommes de terre rissolées, une salade de concombres aigres-doux à la juive, où plies et soles frétillaient dans leur ultime danse…
Du côté long de la table, Maman posait l’assiette…
A la maison, c’était la place de Papa. Après sa mort quand je venais manger, Maman avait voulu m’y placer mais je ne voyais pas en quoi sa mort impliquait que je devais manger à sa place : j’occupais la mienne habituelle, en bout de table…
Rolland Westreich fixe à jamais ces yeux à peine plus plissés que d’habitude. Pas un mot, juste de mouvement de la tête, ces commissures des paupières tournées vers le bas…et ce léger haussement des épaules prélude au prochain envol qu’il ne verrait jamais…
La fuite des souvenirs se reflète dans les canaux de Bruges, rompue par les rires d’enfants s’esclaffant de phrases impérissables…
Petit, petit, il faut te lever maintenant, il faut te lever, petit, si tu ne te lèves pas maintenant, il sera trop tard…
Westreich s’ébroue…crie… hurlant aux éclairs des orages intérieurs qui tentent de l’aveugler…
L’ombre paternelle se faufile au milieu de la salle de vente où meubles et toiles valsent au rythme des badineries flamandes.
En vérité,… et si les imprécations littéraires de Rolland Westreich n’étaient que le travestissement d’un cri impossible à pousser, ce cri de haine et de peur qu’il avait dû ravaler lorsque...
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