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Citation de Henri-l-oiseleur


Romaric Sangars
L'Incoronavirus, lettre journalière, 7 mai 2020.

Tristan & Iseult 2020

Ce matin, France Inter m’apprit qu’on avait retrouvé Tristan et Iseult. Évidemment, je reste toujours très sceptique quant aux annonces de cette radio d’État assez caricaturale et sectaire, que j’écoute essentiellement pour connaître où, sur le plan des opinions admises de mon époque, a été tracée la ligne blanche (c’est beau, dans une soirée ennuyeuse, un dérapage contrôlé). La journaliste avait cherché à collecter de belles anecdotes de confinement, à l’aube de sa levée, et l’une d’elle, donc, la mettait en transe : elle avait retrouvé Tristan et Iseult, oui, là, au printemps 2020, malgré le consumérisme amoureux, la pornographie de masse et tous les troublés du genre qui interrogent sans fin leur désir et leur sexuation au lieu de s’enflammer pour quelqu’un d’autre (« Mais tu crois que je suis vraiment amoureux ? Mais tu crois que je suis vraiment un homme ? Mais même si en fait je suis une femme, qu’est-ce qui prouve que je ne suis pas bi ? Et les arbres ? Pourquoi je ne taperais pas un arbre, ils ont des sentiments aussi, les arbres, oui, surtout les arbres africains, un beau baobab, non ? Mais pourquoi « un » baobab et pas « une » baobab », ou « eul » baobab. Ou « iul » ? ») Non, elle y était parvenue. Tristan & Iseult, version 2020, sur fond de pandémie. Intrigant, pour le moins. Je devins attentif.

Notre couple, lui 38 ans, elle 36, s’étaient donc rencontrés en mars. Un coup de foudre comme une dose de philtre ? Non, ça avait eu lieu sur Tinder, comme si fréquemment de nos jours. Bon, il y a plus mythique comme scène d’ouverture, me disais-je, mais enfin, passons, qu’arrive-t-il ensuite ? Ils bavassent un peu, prennent un verre ensemble dans un établissement public. La routine de l’application, en somme. Et donc ? Ils ne parviennent plus à se quitter ? Si, si. Ils se quittent, satisfaits mais encore un rien circonspects et se donnent rendez-vous la semaine suivante. Sauf que là : confinement général. Et donc ? Eh bien, au lieu de se jeter l’un sur l’autre, ils continuent de correspondre et finissent par s’avouer un véritable goût réciproque. Ah… Je m’impatiente du dénouement. C’est alors que je comprends qu’il n’y a pas de dénouement, que les Tristan et Yseult dont on me fait la réclame n’ont comme obstacle à leur amour ni une armée, ni un conflit de fidélité, ni un devoir d’état, non, simplement, le confinement décrété, ce qui était tout de même moins périlleux à enfreindre, sauf que n’ayant pas trouvé la case « rendez-vous amoureux » sur leur attestation, ils ne l’ont tout simplement pas enfreint, ce confinement, si bien qu’ils ne se sont toujours pas roulé une pelle, mais attendent dimanche minuit, on imagine, pour frapper à la porte de l’aimé avec une bouteille d’oasis.

Et donc ça, c’est Tristan & Iseult ? Je finis par avoir un peu de peine pour ce virus, finalement. Sortir d’un animal aussi grotesque que le pangolin et devoir s’attaquer à une humanité aussi veule, aussi timorée, aussi tiède que celle que me décrit France Inter, voilà vraiment une situation démoralisante. À quoi bon éteindre ce qui ne sait pas brûler ? J’ai néanmoins éteint, la radio, et les gloussements d’enthousiasme de cette journaliste ahurie, en pensant à Lancelot qui, pour retrouver Guenièvre, s’ensanglanta sur le pont de l’Épée, me demandant s’il aurait attendu, en cas de pandémie, que les vêpres eussent été dûment sonnées pour se livrer à pareille activité physique.
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