Le réalisme magique est un genre étonnant qui porte la trace des civilisations passées, un primitivisme puissant, une force d’évocation troublante. Les amateurs de Gabriel Garcia Marques ne seront pas déçus puisque, dans les régions reculées du Brésil, la violence des traditions écartèlent hommes et destins. Vendettas, fantômes du passé, femmes brisées, nous ne sommes pas loin de la Chronique d’une mort annoncée. La mort hante les pages, elle y rôde avec son caractère obligatoire, elle devient la solution, le seul moyen de trouver un apaisement, comme une rafale sous un soleil de plomb. Tous les personnages répondent à son appel. Pire, certains l’invitent dans un hamac sur leur seuil (Inacia Leandro) ou vont jusqu’à l’incarner (Lua Cambara) sur des terres vaporeuses qui relient le monde tangible à l’au-delà. Mais le spectre n’est jamais un danger, il reste la simple manifestation d’une existence douloureuse et troublée.
Dès la première nouvelle, le ton est donné. Un homme trop généreux a fait l’erreur d’héberger un bandit de grand chemin. Sa condamnation est sans appel, les forces de l’ordre viendront le tuer. Mais les figures les plus présentes et les plus tragiques du recueil sont principalement celles des femmes, prisonnières de leurs conditions, victimes des violences conjugales et de règlement de compte dans une culture où les hommes défendent leur honneur à coup de couteaux. Le choix compte parmi les textes qui m’ont le plus marqués. Entre un homme brutal, qui a manqué de la tuer, et un mari très tendre Aldenora Novais est partagée entre le cœur et la raison. Chaque personnage a d’ailleurs pour trait cette passion très « latine », un côté entier, sauvage, sanguin et, finalement, assez morbide.
L’espace temps est assez flou. Présent et passé se rencontre, il semble difficile de situer véritablement l’époque dans laquelle se déroulent les scènes. Cette impression est favorisée par une écriture très poétique et pudique. Correia de Brito – et c’est là un petit défaut – devient parfois confus. Alors les pistes se brouillent, il faut faire le geste assez désagréable de revenir en arrière pour retrouver le fil d’une histoire, de sorte que son recueil s’adressera avant tout aux lecteurs déjà initiés à ce type de littérature. Néanmoins, la douceur des mots, la distance du ton permet une mise en relief très dure de la violence qui pèse sur tout l’ouvrage. Quelque chose de très froid traverse les paysages désertiques du sud pour venir déranger notre inconscient. Que l’on se sente touché ou non, on ne peut en sortir tout à fait intact, et les fins laissées en suspend, dans la suggestion de ce qui arrivera, y contribuent beaucoup. Comme la mort ne semble pas définitive dans cette région, les histoires se doivent de garder elles-mêmes un aspect étrangement inachevé.
Je remercie les éditions Chandeigne pour cette découverte.
Lien :
http://unityeiden.fr.nf/le-j..