Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite pas de connaissance du personnage de Batman, et une connaissance superficielle de Maxx suffit pour saisir toutes les nuances. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus entre 2018 et 2020, écrits, dessinés et encrés par Sam Kieth, avec une mise en couleurs réalisées par Ronda Pattison, et un lettrage par Shawn Lee. Le recueil comprend les couvertures originales de Kieth, ainsi que les couvertures variantes de Jim Lee, Kelley Jones, Gabriel Rodriguez, Ashley Wood, Jae Lee, et 8 pages en noir & blanc.
Maxx se souvient de l'outback, pas celui de l'Australie, mais celui de son esprit : de grandes plaines s'étendant à perte de vue, des dangers palpitants, d'étranges bêtes sauvages. Mais il y a quelque chose d'anormal : l'outback a changé. Les plaines sont balayées par une odeur de terre brulée, par des vents nuageux, par la famine et la sécheresse. Des créatures de l'outback se nourrissent de la carcasse d'une baleine aérienne, sans trouver de quoi manger. La terre est mise à nu, et la reine de la jungle s'est retirée dans son antre. Qu'est ce qui a pu générer ce nuage sobre et toxique qui plane sur l'outback ? Dans les rues de Gotham, les phares de la batmobile éclairent une rafle de sans-abri, mise en pratique de la politique du maire pour nettoyer les rues, par des officiers faisant du zèle. Dans la queue se trouve un individu avec un imperméable, très agité, tenant des propos incohérents. Batman descend de sa voiture et s'approche de Maxx pour lui adresser la parole.
Constatant la longueur de la griffe à chaque main de Maxx, les deux policiers décident de l'arrêter et de l'emmener au poste. Batman demande à les accompagner. Du fait de la nature étrange de leur prisonnier, ils l'emmènent à l'asile d'Arkham. Sur place, Batman salue le docteur Disparu qui lui explique qu'il existe un fichier de la CIA sur Maxx ce qui justifie son incarcération à Arkham. Il lui demande si la notion d'outback lui parle. Il continue : il ne s'agit pas de la région d'Australie, mais de la partie primale de la psyché humaine, une zone qui contient des informations profondément enfouies dans l'esprit de certaines personnes. Quelques patients d'Arkham semblent avoir le projet de faire usage de la télépathie pour se servir de Maxx et son accès à l'outback pour s'échapper. Depuis sa cellule, Maxx rappelle que l'outback est bien réel, qu'il est en train de dépérir et que lui seul peut sauver le pays de la reine de la jungle. Alors que Maxx a perdu conscience, le docteur Disparu l'a fait disposer sur une table en fer où il est entravé, et il lui a disposé des électrodes sur la tête, reliées à un appareillage électronique. Il s'apprête à conduire une expérience, alors que Batman est de plus en plus suspicieux, à la fois de l'arrestation de Maxx juste au bon moment, et de l'absence de toute preuve tangible de l'implication de Maxx dans cet hypothétique projet d'évasion. Le docteur répond sèchement que ces questions l'ennuient, et que Batman ne va pas tarder à ressentir les effets du neurotransmetteur wifi. De fait, Batman se retrouve dans l'outback, aux côtés de Maxx qui a sa parure de plumes.
Sam Kieth est un artiste à la forte personnalité graphique et narrative, ayant déjà eu l'occasion d'écrire Batman par le passé, par exemple Batman: Ghosts. Cet auteur a connu son heure de gloire en créant sa propre série The Maxx (1993-1998) qui a même bénéficié d'une adaptation en dessin animé pour MTV. C'est un auteur de BD non conventionnel, en ce sens qu'il réalise plus des illustrations que des dessins et que ses cases se rapprochent plus de l'expressionnisme que d'une narration purement descriptive. De la même manière, ses intrigues ne se cantonnent pas à une succession logique de faits et gestes et peuvent prendre la tangente vers un registre plus poétique, usant de licence artistique. Il vaut mieux que le lecteur ait conscience de ces partis pris narratifs avant de se lancer dans ce récit, voire qu'il ait déjà un goût pour les idiosyncrasies de l'artiste. Par exemple, une séquence peut se dérouler sans aucun arrière-plan de représenté pendant une dizaine de pages, si ce n'est un vague dégradé d'une couleur ténue en fond de case. Lorsque Batman s'interroge sur les coïncidences bien pratiques, le lecteur ne peut qu'être d'accord avec lui, et les explications du docteur Disparu sont expéditives pour le moins. Dans le même ordre d'idée, il ne faut pas trop chercher la logique de passage d'une réalité à l'autre, car ce n'est pas que l'esprit qui voyage du monde réel à l'outback spirituel, mais aussi le corps selon des règles floues et fluctuantes.
Une fois qu'il a fait l'effort d'accorder une bonne dose de suspension d'incrédulité supplémentaire, le lecteur peut alors profiter de ce voyage sortant de l'ordinaire. De temps à autre, vraiment très, très rarement, l'artiste représente un décor le temps d'une case ou deux, et s'amuse bien avec : les silhouettes des gratte-ciels de Gotham en ombre chinoise, la grande pièce de l'appartement de Julie, la devanture d'un marchand de canapés. De temps à autre, un peu plus souvent mais certainement pas à toutes les pages, Kieth s'amuse avec la forme d'un élément du décor, un meuble ou une plante ou un animal : la carrosserie de la Batmobile, l'enseigne en fer forgé de l'asile d'Arkham, les créatures monstrueuses de l'outback, une baleine aérienne, la table métallique très sommaire sur laquelle est étendu Maxx, le canis lupus avec sa tête duveteuse, le canapé de Julie, l'antre de la reine de la jungle. Mais s'il est venu pour une immersion dans des lieux représentés dans le détail avec une conception originale, le lecteur est vite excédé par ces fonds de case vides, vides et vides.
Ce qui intéresse Sam Kieth, c'est de jouer sur la forme des personnages, de les faire bouger pour certains, de jouer sur le contraste des différences de leur morphologie. Il s'amuse bien avec Maxx : individu musculeux à la forte carrure, habillé d'un costume moulant violet avec un masque à la dentition improbable, et une grosse griffe sur le dos de chaque main. C'est un individu un peu simplet, courageux et même téméraire, avec des réactions enfantines des pieds beaucoup trop gros, et un dos vouté très arrondi. Le lecteur peut y voir un personnage à l'allure comique, un enfant dans un corps d'adulte, ou plutôt un adulte avec un esprit d'enfant, la représentation mentale que Maxx a de lui-même plutôt qu'une représentation fidèle de sa morphologie, et bien sûr une sorte de parodie de superhéros avec des faux airs de Wolverine en plus massif, et en fait bien moins belliqueux. Par contraste, Batman apparaît comme un adulte, à la musculature moins ronde, pas toujours correcte sur le plan anatomique, dans un étrange costume avec les oreilles exagérément longues de la cagoule, la cape à la géométrie variable et beaucoup trop longue, le sigle de chauve-souris à la forme très bizarre, la bouche avec soit les lèvres très serrées ou au contraire les dents largement découvertes. Souvent Batman se tient très droit, rigide, alors que Maxx est courbé, plus massif et plus souple.
Sous réserve qu'il y soit sensible, le lecteur va donc être à la recherche de l'image décalée, du visuel surprenant et improbable. Outre les silhouettes déformées et la dentition très hypertrophiée du masque de Maxx, son regard peut se retrouver en arrêt sur les postures belliqueuses de Maxx, le menton de Batman, un monstre très réussi dans l'outback, le visage dément de Joker, l'allure mi-fillette mi-maternelle de Julie, la morphologie incroyable du Canis Lupus (ou Wumpus Woof), la tête du chien de Julie, et bien sûr le jeu d'opposition visuelle entre Maxx et Batman quand ils se trouvent dans la même case. Accessoirement, il se laisse prendre au jeu de l'intrigue : sauver l'outback, et même restaurer sa vitalité perdue, essayer de comprendre l'objectif réel du docteur Disparu, et établir un lien de cause à effet entre les phénomènes de l'outback et la réalité. L'auteur joue également sur l'ambiguïté de savoir de quel outback s'agit-il : celui de Maxx, celui de Batman ? Est-ce qu'il est contaminé par celui de Joker ? En cours de route, Kieth évoque trois jeunes femmes qui ont côtoyé Bruce Wayne ou Batman : Callie, Sabine, Alice. Leur sort apporte un léger éclairage pour partie inédit sur le personnage, ajoutant un zeste de profondeur psychologique, dans un récit qui joue également parfois sur les associations d'idées, le tout baignant dans une atmosphère onirique vaguement inquiétante.
Sam Kieth fait du Sam Kieth, ce qui paraît normal, mais ce qui peut être agaçant pour certains lecteurs. En fonction de sa sensibilité, il peut être exaspéré par un récit qui joue sur le côté artistique plutôt que de s'appuyer sur une solide narration visuelle, et s'énerver de l'usage de l'onirisme pour pallier les sauts de logique du scénario. À l'opposé, il peut être enchanté par un récit non conformiste, et se laisser porter par cet onirisme visuellement étonnant.
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