Chaque regard qu’elle croise au collège la transperce comme une lame acérée. Elle n’y voit que mépris, moquerie, haine. Son miroir se ligue contre elle aussi et lui renvoie l’image d’une gamine puérile, laide, ridicule et vide de tout intérêt. Elle se fait mal, se griffe les bras quand la colère en elle gronde, tel un volcan sur le point d’entrer en éruption. Elle enfonce ses doigts dans ses paumes, ses ongles tranchent alors sa peau et elle se met à saigner. Rien ne l’arrête. Elle aimerait disparaître. Elle prie pour mourir dans son sommeil, être ensevelie. Elle s’imagine tomber dans un trou au cours d’une balade en forêt, se jeter d’une falaise.
Clara a toujours été une enfant différente. Quelques- uns diront difficile, ou encore caractérielle, tandis que certains la jugeront trop sensible, ou alors comme dit sa maman : « Chiante, elle est juste chiante ! » La fillette se sent incomprise, non écoutée et perpétuellement délaissée. Des petits abandons sans conséquence et d’autres qui jalonneront sa vie. À commencer par ce tout premier souvenir…
Elle est bien trop occupée à se concentrer sur sa bulle de protection, celle qui lui permet de respirer, de vivre sans être happée par le marasme dans lequel elle est embourbée depuis bientôt quatre mois. Dans sa bulle, elle est inaccessible, à l’abri des pics et autres insultes.
Elle peut compter sur son soutien et son flegme pour calmer la tempête en elle, les torrents d’émotions, les tsunamis de larmes, les ouragans d’humeurs et les explosions d’amour qui embarquent tout sur leurs passages.
« 1937
Ma mémoire me semble s’allumer, telle une ampoule au plafond, alors que je suis une toute petite fille : j’ai cinq ans…
Ma vie est sur le point de prendre un tournant important. Je ne le sais pas encore, bien évidemment. Mais là, maintenant, ce que je ressens au fond de moi, c’est de la peur, la peur de l’inconnu, comme on dit. La peur de cette inconnue : cette femme. Elle, qui vient occuper la place de ma Maman partie il y a déjà trois ans… »
Les années s'écoulent, les générations se succèdent, et moi je vieillis.
Le bonheur d'être entourée des siens est un sentiment indescriptible. C'est une joie incommensurable d'avoir son petit monde qui gravite là, tels des satellites en orbite autour de la Terre.
« Et ce qui était dans tes yeux est dans les miens à tout jamais. »