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Citation de Sergi


Sergi
27 février 2020
Pages 16 à 18
Ce n’est pas seulement qu’il est épuisé. Cela fait des années que Mateu n’a pas marché aussi longtemps. Lui qui d’habitude ne fait que creuser des tranchées, les reboucher et entretenir les engins de la municipalité d’Ax-les-Thermes qui l’emploie.
Il a pensé qu’il allait enfin pouvoir se reposer auprès d’un des maigres feux allumés dans les baraques de tôle de cette mine déserte, encore une, où ils ont installé le bivouac. Tous ont posé leurs sacs et s’activent, surtout à trouver du combustible, bois humide et noueux de rhododendron, branches sciées aux rares bouquets de sapins qui poussent aux alentours. Mais dès qu’il s’est allongé, il s’est mis à transpirer.
– Quelqu’un aurait un coup à boire ? Il a agrippé le col de celui qui se nomme Portet avec un sourire crispé, histoire d’avoir l’air de plaisanter. Je t’ai offert une gorgée tout à l’heure, à toi de m’en donner !
– J’ai rien pour toi, mon gars, a rigolé l’homme en catalan, tout en se dégageant. On n’est pas là pour se pinter !
Ce n’est pas une surprise. Mateu savait que dès qu’il n’aurait plus d’alcool, ça deviendrait difficile. Depuis le temps qu’il boit sans discontinuer, chaque jour, avec application et répugnance. Il s’était persuadé qu’il réussirait à supporter l’arrêt brutal. Il voudrait se lever, mais ses membres ne lui obéissent plus. Son tremblement qui gagne en intensité n’est pas dû qu’au froid. Il ne contrôle plus rien. Les camarades le regardent d’un drôle d’air. L’un d’eux se penche sur lui.
– Ça va pas, on dirait. Qu’est-ce qui t’arrive ?
Il se contracte de tous ses muscles et donne des coups de pied désordonnés qui n’atteignent personne.
– Eh, Canalis fait une crise ! Tenez-le !
Il halète, serre les dents et les poings, roule sur lui- même, jusqu’à ce que les autres se précipitent sur lui pour l’immobiliser, lui ouvrir la bouche.
– Faites-lui boire de l’eau ! ordonne le commandant Mohedano qui fait irruption dans la baraque. On avait bien besoin d’un épileptique dans la brigade... Toi, va chercher l’infirmier!

Barcelone.
Je ne suis pas épileptique, je ne l’ai jamais été. J’ai une bonne constitution et ça se voit, les yeux des femmes me le disaient, mes soirs de liberté sur la rue Gran de Gràcia, quand je flânais en chemise blanche avec Esperança à mon bras. Au printemps de 1936, alors que tous les éléments de la catastrophe se mettaient en place un à un et que moi, je m’obstinais à ne pas vouloir y croire. Badia, le chef de la police auquel je devais obéissance, s’était fait descendre en pleine ville, rue de Muntaner. Je me serais bien gardé de dire ça tout haut, mais à force de faire liquider des anarcho-syndicalistes, ça ne pouvait que mal finir pour lui. Ces gars-là ont fini par se lasser de se faire massacrer sans réagir. Ainsi que le disait Tomás, mon copain d’enfance qui faisait partie de cette mouvance-là, c’était de la légitime défense.
Je me revois un soir d’avril, sortant de l’immeuble où je louais à ma tante l’appartement du premier étage où elle vivait auparavant avec mon oncle, dans le haut de la rue de Melendez Pelayo. J’étais d’assez bonne humeur pour m’adresser au perroquet vert d’Adrià, le fabricant de jouets du rez-de-chaussée, qui installait sa cage sur le pas de porte de son atelier.
– Je te sors ce soir, Coco ?
Ce à quoi le volatile répondait à chaque fois par la seule phrase qu’il ait réussi à apprendre:
– Tira’t d’allà ! 3
Il y mettait un ton si convaincu que ça me faisait toujours marrer. La brise qui remontait de la mer rafraîchissait l’air, j’aimais en flairer le parfum de large et de liberté. Je suis allé chercher ma moto que je garais dans une cour plus bas dans la rue ; retapée pendant de longs mois, ultime souvenir de mon époque de mécano. Et je suis parti rejoindre Esperança qui vivait encore dans son taudis de Poblenou, embelli par sa seule présence.

3 - Tire-toi de là !
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