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Citation de Charybde2


Celui-là est un Ottoman, le représentant de l’Empire depuis la Sublime Porte jusqu’au Péloponnèse, fils de Murad, petit-fils de Mehmed, futur héritier de la dignité, des charges, des principes abscons, des protocoles de cour, des eunuques et des fruits confits. On l’appelle Allaeddin, il a vu dès son plus jeune âge les domestiques se courber à son passage : une vie entièrement bordée à droite comme à gauche de ces courbes passagères, ces courbes opportunes, si bien accomplies, faisant croire à la plasticité naturelle des hommes, à un peuple de danseurs qui aurait appris à s’assouplir et faire coïncider l’idée de beauté avec celle de cambrure. Alaeddin se tenait un peu raidi au milieu de ces courbes, il se prenait pour un tuteur au milieu des glycines ; il entrevoyait aussi, mais négligemment, son avenir de prince ottoman à jamais escorté d’inclinaisons de serviteurs.
À quinze ans, que voulez-vous que fasse un fils de prince qui fait se pencher les têtes des vieux ministres ? lui le Dessin, lui le Chiffre, lui la Clef du Ciel et l’Étape bienheureuse de la Destinée, lui que le destin fixe à la branche de l’arbre de sa généalogie, il désire une chose, une seule : prendre l’air. (Pour fuguer, il a fugué : pas loin de huit cents ans plus tôt, le calife Haroun al Rachid, dans sa version historique ou fabuleuse, retirait de sa tête, certaines nuits, l’énormité de son turban (pas de turban plus gigantesque, sinon celui de l’idiot Nasr Eddin Hodja), le confiait au porte-turban, retirait aussi ses babouches à rubis, se défaisait ensuite de tout ce qui pouvait être soie, satin, froufrous luisants, ceintures, petites choses micacées, des pierres dont le nom ne nous est pas parvenu, puis demandait au valet de pied qu’il sorte du placard sa panoplie de cordonnier – après quoi, il était minuit passé, il s’en allait dans les rues de sa ville, incognito jusqu’aux tavernes, là où il croyait encore pouvoir aller à la rencontre du peuple : le peuple, un banc de poissons insaisissable à qui on demande des oracles avant de les lui délivrer.)
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