Séverine Deffay

J’ai la sensation que cette transparence, nourrie par la confiance, nous permet, encore aujourd’hui, de continuer à tisser des liens profonds et de traverser les épreuves avec brio, sans jamais faiblir. Finalement, peu importe le contexte qui nous a conduits à intégrer ce programme, ce qui est important aujourd’hui, c’est le fil conducteur qui nous lie. Chacun est animé par l’envie de démontrer ses capacités : « Je suis capable, j’ai de la valeur, je peux réussir et je vous le prouve ». La majorité des apprenants a fait des études courtes, trop courtes, mais a gravi les marches de l’ascension sociale par la voie professionnelle.

Les journées se suivent et se ressemblent. La perspective que m’offrait ce tournant professionnel se teinte de gris, se renfrogne, mais ne se dissipe pas totalement. Je m’interroge sur la manière de procéder pour relancer la machine, attiser la flamme, mettre un peu d’huile sur le feu pour me créer une nouvelle chance, une nouvelle opportunité de réunir un karma favorable, afin que tous ces gens bien-pensants des Ressources Humaines voient leur perception de ma petite personne se mouvoir lentement, jusqu’à se transformer en une possibilité, un potentiel à exploiter, un diamant brut à polir.

C’est étonnant la facilité qu’il peut avoir à exprimer ce qu’il ressent. Il y a quelque chose qui m’intrigue chez cet homme. Il peut se montrer froid, distant, sûr de lui, en pleine maîtrise de ses moyens, déterminé, confiant, tout en étant capable de livrer avec beaucoup de délicatesse les sentiments qui l’animent. Je suis tout le contraire. Le doute m’habite constamment, un rien me déstabilise, sortir de ma zone de confort me terrifie et, pour couronner le tout, je suis incapable de mettre des mots sur mes émotions, préférant les taire pour mieux les dominer.

Tout ce que je sens, c'est que nos liens se distendent mois après mois et que nos centres d'attention convergent moins naturellement que par le passé. S'il est difficile d'entretenir la flamme, il est encore plus délicat de discerner ses premiers signaux de faiblesse : lorsque la lueur commence à vaciller et que nous restons là, contemplatifs, à la regarder se mouvoir, persuadés qu'elle parviendra à se stabiliser. La danse risque alors de se faire tantrique, jusqu'à se consumer sans qu'on ait eu le temps d'intervenir.

« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais s’il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. »
 
Alfred de Musset

Nous sommes, tels des étudiants, dominés par nos instincts les plus grégaires et prenons un plaisir fou à libérer ensemble nos consciences primitives, heureux de toucher du doigt l’épilogue de cette chevauchée à la fois ardue et stimulante. Il est minuit passé, certains ont déjà rendu les armes et rejoignent sagement leur voiture pour retrouver leur famille. Le noyau dur prolonge encore le plaisir et commande une nouvelle tournée au bar.

En dix-huit ans de vie commune, je ne suis jamais sortie du chemin, jamais, et ce malgré les quelques occasions qui se sont présentées à moi. Pourquoi ai-je été faible cette fois-ci ? Pourquoi lui ? Malgré mes interrogations, je me sens béate de bonheur, à la limite de l’euphorie, comme une adolescente qui aurait volé un baiser au tombeur du lycée ou une junky qui aurait tapé un rail de coke dans les toilettes d’une boîte de nuit.

L’important est de parvenir à mettre des mots sur tes émotions, à partager ton stress, ton indignation et ta colère avec ton entourage. Parler est une véritable soupape de décompression. Et puis, tu sais, Juliette, il faut aussi essayer de rationaliser les choses. Statistiquement, ce type de drame reste rare. Cela a peu de chances de te toucher directement. Rien ne sert de céder à la psychose.

Je suis ravagée, humiliée, piétinée, les mots me manquent pour décrire la scène de crime, le douloureux moment d'injustice que je viens de vivre; Je voudrais crier fort, sortir de mes gonds, faire jaillir mes larmes de colère et d'indignation. Mais je suis bleu, je suis conforme et je n'en ferrai rien.
[Juliette]

Ma personnalité est un problème. Je suis un problème. Même les tests de personnalité établis par les plus grands psychologues mondiaux révèlent, preuve à l’appui, que ma nature profonde est un obstacle à mon épanouissement. La journée démarrait sous les meilleurs auspices !