Séverine Lemière, sur Xerfi Canal : Lever les freins à l'emploi des femmes.
C'était en décembre 2013, la ministre Najat Vallaud-Belkacem se voyait remettre un rapport intitulé « L'accès à l'emploi des femmes : une question de politiques ». Dans ce texte, figuraient 96 propositions, dont l'une a été largement commentée : l'individualisation de l'impôt sur le revenu. Une proposition explosive, puisqu'elle détricoterait ce qui pourrait être considéré comme une subvention pour les femmes aux foyers. Mais le rapport ne s'arrête pas là, et c'est pour cela que Xerfi Canal a reçu son autrice, Séverine Lemière, économiste à l'IUT Paris Descartes.
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Le principe juridique de l’égalité salariale précise pourtant qu’à travail de valeur comparable le salaire doit être égal. Mais toute la question est de savoir comment on détermine la valeur des emplois. Avec quelques chercheurs, juristes, syndicats… Nous avons travaillé sur un guide, publié en 2013 par le Défenseur des Droits (Becker, Lemière et Silvera, 2013), pour former les partenaires sociaux à la définition non discriminante de la valeur des emplois dans les grilles de classification professionnelle.
Le principe de l’impôt sur le revenu en France est celui d’une mise en commun des ressources pour les couples mariés ou pacsés, avec une même déclaration. Le revenu global du foyer est divisé par le nombre de parts. Le revenu total est réparti de manière uniforme alors même qu’il y a une inégalité de revenu dans le foyer dans la plupart des cas (trois femmes en couple sur quatre gagnent moins que leur conjoint [Insee 2014, données 2011]).
On a une politique fiscale qui encourage ce qu’on appelle une spécialisation dans le couple. Quand un enfant arrive, les parents vont devoir se demander lequel des deux va réduire sa quantité de travail ou bien arrêter de travailler. Et quand les femmes gagnent en moyenne 25 % de moins que les hommes, le choix se fait rapidement...
Par ailleurs, l’enjeu est aussi symbolique, l’accès direct à l’administration fiscale (et non pas seulement via son couple) fait aussi partie de la citoyenneté. Avec la diversité des configurations familiales, cette façon de penser le couple et la famille a de moins en moins de sens. Certes, changer le système actuel générerait une augmentation des impôts, mais cela signifie aussi des ressources qui pourraient être investies par exemple dans les modes de garde, créant de fait un cercle vertueux. Ce débat de société mériterait d’être posé.
Il y a aussi des secteurs très féminisés qui ne recrutent qu’à temps partiel : dans les services à la personne, la grande distribution ou le nettoyage par exemple. Mais on ne fait pas carrière à temps partiel en France, c’est une vraie source de précarité.
Ensuite, on voit aussi une ségrégation professionnelle : les hommes et les femmes travaillent dans des secteurs d’activité différents, avec des types de métiers différents, dans des entreprises de tailles différentes… Cela joue beaucoup sur les formes de précarité car les femmes travaillent essentiellement dans des secteurs moins rémunérateurs, et cela a un impact sur leurs salaires et leurs carrières. La moitié des femmes travaillent dans une douzaine de grands métiers appelés familles professionnelles (Dares, 2013). Ces emplois très féminisés sont souvent liés à la relation à l’autre : aide à domicile, aide-ménagère, enseignante, vendeuse, infirmière…
Depuis deux ans, nous sommes face à un paradoxe : le taux de chômage des femmes est plus bas que celui des hommes, mais en même temps il y a moins de femmes en emploi. Ces femmes sont donc en situation d’inactivité. Elles sont aussi dans ce que l’on appelle le halo du chômage, c’est-à-dire qu’elles ne remplissent pas les critères pour être considérées comme demandeurs d’emploi (personnes qui ne travaillent pas, qui souhaitent travailler, qui sont en recherche active et qui sont disponibles sous 15 jours). Souvent elles ne font pas de recherche active et ne sont pas disponibles sous 15 jours, pour des raisons de garde d’enfants principalement.
En fait, le taux de chômage des femmes ne caractérise pas la précarité des femmes sur le marché du travail. Et cette situation est d’autant plus étonnante que les femmes sortent plus diplômées du système éducatif que les hommes.
Nous avons constaté (Guergoat-Larivière et Lemière, 2014) qu’entre 25 et 49 ans, il y a plus de femmes sans emploi que d’hommes, et qu’elles sont plus souvent inactives que chômeuses, alors que l’on constate l’inverse chez les hommes dans la même tranche d’âge. Ces femmes sans emploi sont alors invisibles des politiques publiques de l’emploi. Donc on ne leur propose pas d’accompagnement et il n’y a aucun ciblage pour reconnaître leurs difficultés sociales.
Si le taux de chômage baisse avec le niveau de diplôme, on constate néanmoins que les femmes diplômées (supérieur à bac +2) ont un risque d’inactivité 2,4 fois plus élevé que les hommes de même niveau de formation. Et la situation est encore plus critique pour les femmes sans diplôme.
Les inégalités salariales entre femmes et hommes s’expliquent aussi par la sous-valorisation de certains de ces métiers très féminisés, les compétences professionnelles qui y sont attendues étant sous-estimées et assimilées à des « qualités dites féminines ».
Environ un tiers des femmes qui travaillent occupent un emploi à temps partiel. Quand ces femmes sont à temps partiel alors qu’elles aimeraient travailler plus, on dit alors qu’elles sont en sous-emploi.