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Citation de hupomnemata


Peut-être ne reste-t-il plus que la position de l'attente. Celui qui prend ce parti ne se barre pas la voie de la foi, comme l'obstiné affirmateur du vide, ni ne pressure cette foi, comme le nostalgique à qui sa nostalgie enlève toute retenue. Il attend, et son attente est un demeurer-ouvert hésitant, en un sens certes difficile à expliquer. Il peut facilement arriver qu'un être en attente de la sorte trouve l'accomplissement sur tel chemin. Cependant, dans ce contexte, il faudra principalement penser à ces gens qui aujourd'hui comme hier continuent à attendre devant des portes fermée, et qui donc, quand ils assument l'attente, sont en attente ici et maintenant. Supposons que, avec le bon droit de leur être naturel et de leur sens de la réalité, ils repoussent tout autant l'ardeur des enthousiastes messianiques que l'intégration dans des cercles ésotériques, qu'ils reconnaissent certaines faiblesses de la pensée communautaire moderne, et que, pour finir, dans leur tentative de s'accoutumer à la tradition des religions positives, ils rencontrent des difficultés insurmontables dont la cause réside en partie dans l'aliénation qui s'est introduite entre eux et le tissu des formes religieuses. Que signifie alors leur attente?
Du coté négatif, celui qui attend possède en commun avec le desperado intellectuel avant tout le courage qui s'affirme dans le savoir-attendre. Que son scepticisme ne dégénère pas en un doute fondamental, il est à peine nécessaire de le préciser, tout son être étant d'emblée tourné vers l'obtention d'une relation à l'absolu. Le véritable sens métaphysique de son attitude repose sur le fait que l'intrusion de l'absolu ne peut se produire que quand l'être dans sa totalité s'implique réellement dans cette relation. Ils vont donc se rendre la tâche des plus difficiles, ces êtres en attente, pour ne pas se laisser duper par le besoin religieux, ils perdront plutôt le salut de leur âme que de céder à l'ivresse du moment et de se précipiter dans des aventures extatiques et visionnaires. Parcourant leur plus grand cercle, ils mettent presque leur orgueil dans la pédanterie et dans une certaine froideur qui doit les rendre invulnérables aux ardeurs passagères. Pas plus que (tel le desperado) faisant de nécessité vertu, ils ne deviennent les négateurs de leur aspiration, ils ne s'abandonnent à la légère à ce flot d'aspirations dont on ne sait vers quels pseudo-accomplissements il les porte.
Du coté positif, l'attente signifie un demeurer-ouvert, qui bien sûr ne doit absolument pas être confondu avec détente des forces spirituelles agissant en direction des choses dernières, mais qui au contraire est bien plutôt active autopréparation. Un long parcours, ou mieux : un saut qui oblige à prendre un grand élan, mène à la vie dans la sphère religieuse, au verbe religieux et jusqu'au lien entre les humains reposant sur la communauté de la foi, et celui qui demeure si loin séparé de l'absolu, tel l'être de l'espace vide, a infiniment de mal à accomplir le tournant que lui-même exige. Ce qui peut se produire venant de celui qui attend, pour que la foi soit sans doute pas magiquement suscitée mais cependant pas non plus exclue, ne se laisse pas transmettre comme un savoir, car cela demande à être vécu et, en outre, la connaissance de l'observateur anticipe sur la vie et ce qu'on en sait. Ce que l'on peut dire en tout cas, entre autres, c'est que, pour les êtres en question ici, il s'agit de la tentative de déplacer le centre d'intérêt du je théorique vers le je de l'humain dans sa totalité, et de sortir du monde irréel atomisé des forces dépourvues de forme et des grandeurs dépourvues de sens pour entrer dans le monde de la réalité et des sphères qu'elle englobe. Par suite de la tension extrême de la pensée théorique, nous nous sommes éloignés dans une mesure effroyable de cette réalité qui est toute pleine d'objets et d'humains en chair et en os, et exige pour cette raison d'être vue concrètement. Celui qui tente de se hausser en elle et de devenir ami avec elle, ne parvient pas facilement bien sûr à un sens constitutif de cette réalité et à une existence dans la foi, mais cependant il découvre peut-être en elle tel ou tel lien, il s'avère pour lui en quelque sorte que la vie avec le prochain, que le monde réel en général dans toute son étendue, sont soumis à diverses lois qui ne sont ni mesurables sur le plan théorético-conceptuel ni simplement le fruit d'un arbitraire subjectif : et c'est ainsi qu'il peut lentement modifier sa position et s'élever en tâtonnant dans des régions qui auparavant lui paraissaient insuffisantes. Cependant, toute indication ici ne représente sûrement pas une directive pour la voie à suivre. Doit-on encore ajouter que se préparer n'est que préparation à ce qui ne s'obtient pas par la force : au changement et au don de soi? Mais à quel moment ce changement apparaît-il - et apparaît-il véritablement, là n'est pas la question, et cela ne doit pas non plus importer à ceux qui s'efforcent.
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