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Sabine Cornille (Traducteur)Olivier Agard (Éditeur scientifique)Philippe Despoix (Éditeur scientifique)
EAN : 9782707152282
312 pages
La Découverte (25/09/2008)
5/5   1 notes
Résumé :
Figure importante mais inclassable de l'histoire intellectuelle du XXe siècle en Allemagne, Siegfried Kracauer (1889-1966) fut quelque peu occulté par les penseurs de sa génération avec lesquels il était en relation comme Ernst Bloch, Theodor W. Adorno ou Walter Benjamin. Pourtant, loin d'être un épigone de ce qu'on appellera plus tard l'" Ecole de Francfort ", Kracauer anticipe largement les analyses de Adorno et Horkheimer sur la "dialectique de la raison", c'est-... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Textes très riches avec une très belle forme littéraire. À lire plusieurs fois pour en peser tout le contenu, mais cela peut aussi être lu comme de la poésie.
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Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
Peut-être ne reste-t-il plus que la position de l'attente. Celui qui prend ce parti ne se barre pas la voie de la foi, comme l'obstiné affirmateur du vide, ni ne pressure cette foi, comme le nostalgique à qui sa nostalgie enlève toute retenue. Il attend, et son attente est un demeurer-ouvert hésitant, en un sens certes difficile à expliquer. Il peut facilement arriver qu'un être en attente de la sorte trouve l'accomplissement sur tel chemin. Cependant, dans ce contexte, il faudra principalement penser à ces gens qui aujourd'hui comme hier continuent à attendre devant des portes fermée, et qui donc, quand ils assument l'attente, sont en attente ici et maintenant. Supposons que, avec le bon droit de leur être naturel et de leur sens de la réalité, ils repoussent tout autant l'ardeur des enthousiastes messianiques que l'intégration dans des cercles ésotériques, qu'ils reconnaissent certaines faiblesses de la pensée communautaire moderne, et que, pour finir, dans leur tentative de s'accoutumer à la tradition des religions positives, ils rencontrent des difficultés insurmontables dont la cause réside en partie dans l'aliénation qui s'est introduite entre eux et le tissu des formes religieuses. Que signifie alors leur attente?
Du coté négatif, celui qui attend possède en commun avec le desperado intellectuel avant tout le courage qui s'affirme dans le savoir-attendre. Que son scepticisme ne dégénère pas en un doute fondamental, il est à peine nécessaire de le préciser, tout son être étant d'emblée tourné vers l'obtention d'une relation à l'absolu. Le véritable sens métaphysique de son attitude repose sur le fait que l'intrusion de l'absolu ne peut se produire que quand l'être dans sa totalité s'implique réellement dans cette relation. Ils vont donc se rendre la tâche des plus difficiles, ces êtres en attente, pour ne pas se laisser duper par le besoin religieux, ils perdront plutôt le salut de leur âme que de céder à l'ivresse du moment et de se précipiter dans des aventures extatiques et visionnaires. Parcourant leur plus grand cercle, ils mettent presque leur orgueil dans la pédanterie et dans une certaine froideur qui doit les rendre invulnérables aux ardeurs passagères. Pas plus que (tel le desperado) faisant de nécessité vertu, ils ne deviennent les négateurs de leur aspiration, ils ne s'abandonnent à la légère à ce flot d'aspirations dont on ne sait vers quels pseudo-accomplissements il les porte.
Du coté positif, l'attente signifie un demeurer-ouvert, qui bien sûr ne doit absolument pas être confondu avec détente des forces spirituelles agissant en direction des choses dernières, mais qui au contraire est bien plutôt active autopréparation. Un long parcours, ou mieux : un saut qui oblige à prendre un grand élan, mène à la vie dans la sphère religieuse, au verbe religieux et jusqu'au lien entre les humains reposant sur la communauté de la foi, et celui qui demeure si loin séparé de l'absolu, tel l'être de l'espace vide, a infiniment de mal à accomplir le tournant que lui-même exige. Ce qui peut se produire venant de celui qui attend, pour que la foi soit sans doute pas magiquement suscitée mais cependant pas non plus exclue, ne se laisse pas transmettre comme un savoir, car cela demande à être vécu et, en outre, la connaissance de l'observateur anticipe sur la vie et ce qu'on en sait. Ce que l'on peut dire en tout cas, entre autres, c'est que, pour les êtres en question ici, il s'agit de la tentative de déplacer le centre d'intérêt du je théorique vers le je de l'humain dans sa totalité, et de sortir du monde irréel atomisé des forces dépourvues de forme et des grandeurs dépourvues de sens pour entrer dans le monde de la réalité et des sphères qu'elle englobe. Par suite de la tension extrême de la pensée théorique, nous nous sommes éloignés dans une mesure effroyable de cette réalité qui est toute pleine d'objets et d'humains en chair et en os, et exige pour cette raison d'être vue concrètement. Celui qui tente de se hausser en elle et de devenir ami avec elle, ne parvient pas facilement bien sûr à un sens constitutif de cette réalité et à une existence dans la foi, mais cependant il découvre peut-être en elle tel ou tel lien, il s'avère pour lui en quelque sorte que la vie avec le prochain, que le monde réel en général dans toute son étendue, sont soumis à diverses lois qui ne sont ni mesurables sur le plan théorético-conceptuel ni simplement le fruit d'un arbitraire subjectif : et c'est ainsi qu'il peut lentement modifier sa position et s'élever en tâtonnant dans des régions qui auparavant lui paraissaient insuffisantes. Cependant, toute indication ici ne représente sûrement pas une directive pour la voie à suivre. Doit-on encore ajouter que se préparer n'est que préparation à ce qui ne s'obtient pas par la force : au changement et au don de soi? Mais à quel moment ce changement apparaît-il - et apparaît-il véritablement, là n'est pas la question, et cela ne doit pas non plus importer à ceux qui s'efforcent.
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Mais plus les humains s'éprouvent en tant que masse, plus vite la masse acquiert dans le domaine spirituel aussi des forces créatives, qu'il vaut la peine de financer. Elle n'est plus abandonnée à elle-même, mais s'affirme dans son abandon ; elle ne tolère pas qu'on lui jette des restes, elle exige qu'on la serve à des tables où le couvert est mis. À côté, il reste peu de place pour les couches qui se disent cultivées : ou bien elles doivent s'asseoir à la même table, ou bien leur snobisme les maintient à l'écart ; mais cette coupure provinciale touche à sa fin. Par la fusion dans la masse, naît le public homogène de la métropole qui, du directeur de banque à l'employé de commerce, de la star à la sténodactylo, partage le même esprit. Les regrets larmoyants au sujet de ce tournant vers le goût des masses sont dépassés. Car les biens culturels que les masses se refusent à recevoir ne sont plus en partie qu'un patrimoine historique, parce que la réalité économique et sociale dont ils dépendaient a changé.
On accuse les Berlinois d'être avides de distractions ; c'est un reproche petit-bourgeois. Certes, l'appétit de distraction est plus grand ici qu'en province, mais plus grande aussi, et plus sensible, est la tension des masses travailleuses - une tension essentiellement formelle - qui occupe pleinement leur journée sans la remplir. Il faut rattraper ce qu'on a manqué, on ne peut le rechercher que dans le même domaine de surface où on a été contraint de se manquer soi-même. Cette forme d' "activité" (de loisir) est nécessairement conditionnée par la forme de l'activité en entreprise.
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Il existe présentement un grand nombre de gens qui, sans rien connaître les uns des autres, sont pourtant liés par un destin commun. Echappant à toute profession de foi déterminée, ils se sont conquis leur part des trésors culturels aujourd'hui accessibles à tous et pour le reste vivent consciemment leur époque. Ils passent leurs journée le plus souvent dans la solitude des grandes villes, ces savants, commerçants, médecins, avocats, étudiants et intellectuels de toutes sortes; et, comme ils sont assis dans leur bureau, reçoivent des clients, mènent des négociations, fréquentent les amphithéâtres, ils oublient très fréquemment, dans le vacarme de leurs activités, leur véritable être intérieur et se croient libres de la charge qui secrètement pèse sur eux.
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Les êtres humains qui aujourd'hui ont encore le temps de s'ennuyer et cependant ne s'ennuient pas, sont certainement tout aussi ennuyeux que les autres qui n'ont pas le temps de s'ennuyer. Car leur soi a disparu, dont la présence justement dans ce monde tellement industrieux devrait les contraindre à demeurer sans but et jamais longtemps au même endroit.
La plupart, certes, manquent de temps libre. Ils sont à la poursuite d'un travail alimentaire auquel ils se donnent pleinement afin qu'il leur rapporte le nécessaire. Pour se rendre cette fâcheuse contrainte plus supportable, ils ont inventé une éthique du travail qui entoure leur activité d'un feston moral et leur procure au moins une certaine satisfaction morale. Prétendre que la fierté de se ressentir en tant qu'être moral dissipe toute espèce d'ennui, serait trop dire ; mais l'ennui banal qui émane du labeur quotidien n'entre pas à proprement parler en ligne de compte, car il n'est ni mortel, ni incitateur à une vie nouvelle, mais il ne fait qu'exprimer une insatisfaction qui passerait aussitôt, si se présentait une activité plus agréable que celle qui jouit d'une sanction morale. Cependant, des hommes que leur devoir fait parfois bâiller peuvent être moins ennuyeux que ceux qui s'acquittent de leurs affaires par inclination. Ces malheureux sont de plus en plus profondément pris dans l'engrenage, à la fin ils ne savent plus où ils ont la tête, et l'ennui exemplaire, radical qui serait susceptible de leur faire retrouver leur tête, demeure éternellement éloigné d'eux.
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L'homme réel, qui n'a pas abdiqué au point de devenir une simple figure dans un fonctionnement mécanisé, s'oppose à la dissolution dans l'espace et le temps. Il est là sans doute dans cet espace mais, sans s'identifier ou s'abîmer en lui, il se déploie par-delà les latitudes et les longitudes jusque dans une infinité supraspaciale qui ne souffre aucune confusion avec l'illimité de l'espace astronomique. Il ne se laisse pas davantage enfermer dans le temps vécu comme déroulement ou mesuré avec la montre ; il est bien plutôt voué à l'éternité, qui est autre chose que le temps indéfiniment prolongé. S'il vit aussi dans l'ici-bas, qui appartient pour lui - et dans lequel il appartient lui-même - au phénoménal, il ne vit pas seulement dans cet ici-bas dont quiconque a déjà eu l'expérience de la mort sait combien il est conditionné et inachevé. Comment ce qui s'écoule ainsi dans l'espace et le temps pourrait-il avoir autrement part à la réalité qu'à travers la relation de l'homme à l'inconditionné au-delà de l'espace et en dehors du temps? En tant qu'existant, cet homme réel est à proprement parler citoyen de deux mondes ou, plutôt, il existe entre les deux - impliqué dans la vie spatio-temporelle sans lui être soumis, il s'oriente vers l'au-delà, dans lequel tout "ici" trouverait sa signification et sa conclusion. La nécessité pour l'ici d'avoir recours à un tel complément se manifeste dans l'oeuvre d'art. En façonnant le phénoménal, l'art lui ajoute une forme qui le laisse marqué d'une signification extérieure à lui, il le relie à un sens qui surplombe l'espace et le temps et élève l'éphémère au rang de création. L'homme véritable se comporte de manière réelle vis-à-vis de ce sens qui, dans l'oeuvre d'art, se lie à l'étant pour former une unité esthétique. Pris dans l'ici et en manque d'au-delà, il mène, au sens exact du terme, une double existence : celle-ci ne se laisse pas partager en deux positions à occuper successivement, mais au contraire, dans la mesure où elle est participation de l'humain à ces deux empires sous la pression d'une tension intérieure, elle défie toute séparation par l'analyse. Il éprouve le tragique parce qu'il aspire à réaliser ici l'inconditionnel, il connaît la réconciliation parce que l'image de l'accomplissement se présente à lui. Il est constamment à la fois dans l'espace et au seuil de l'infini supraspacial, dans le flux du temps et dans le reflet de l'éternité - et cette dualité de son existence est une unité, car son être est justement la tension entre ici et là-bas. Qu'il voyage, qu'il danse, jamais voyage et danse ne sont pour lui des événements qui porteraient leur sens en eux-mêmes. Contenu et forme leur viennent, comme à tout ce qu'il accomplit, de cet autre royaume vers lequel il se tourne.
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Vidéo de Siegfried Kracauer
La notion de « flux de la vie » chez Kracauer : entre philosophie et théorie du film -
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