L’ancien Dieu conserva une place dans sa conscience athée. Lors de l’une de leurs réunions au cours de la Seconde Guerre mondiale, il pardonna l’antibolchevisme de Winston Churchill en disant : « Tout cela est du passé et le passé appartient à Dieu. » Des amis comme Kapanadze devinrent prêtres, mais Staline resta en contact avec eux et se montra généreux. Ses dignitaires et lui-même entonnaient des hymnes religieux au cours de leurs dîners bolcheviques fort arrosés. Il mélangeait orthodoxie et marxisme en plaisantant à demi : « Seuls les saints sont infaillibles. Le Seigneur Dieu peut être accusé d’avoir créé les pauvres. » Mais au pouvoir, ses acteurs parlent mieux que lui : ainsi il interdit impitoyablement l’Église et élimina ou déporta les prêtres – jusqu’en 1943, lorsqu’il rétablit le Patriarcat orthodoxe, geste simplement destiné, en ce temps de guerre, à exploiter le vieux patriotisme russe.
Peut-être révéla-t-il sa véritable vision de Dieu lorsqu’il envoya à son protégé Alexeï Kossyguine (futur chef du gouvernement sous Brejnev) quelques poissons en cadeau après la Seconde Guerre mondiale, avec ces mots : « Camarade Kossyguine, voici pour toi quelques dons de Dieu ! J’exécute Sa volonté ! J. Staline. » D’une certaine manière, en tant que maître suprême de la science de l’Histoire, le séminariste de Tiflis se considérait vraiment comme l’exécuteur de la volonté de Dieu.
« Supposez-vous, s’interrogea Roosevelt à plusieurs reprises, que cela ait fait quelque différence en lui ? Cela n’explique-t-il pas en partie cette qualité de compréhension dans sa nature que nous ressentons tous ? » Peut-être fut-ce la « prêtrise » qui enseigna à Staline « la manière dont un gentleman chrétien doit se comporter ». (pp. 164-165)