Si les contes n'existaient pas, comment vivrait-il, ce pauvre monde ?
(Proverbe roumain, épigraphe)
Les femmes guettaient ce moment. L’envie de rejoindre les hommes dans l’énergie de la danse se lisait sur leurs visages. L’orchestre ressentait instinctivement chaque inclinaison de la foule et se pliait avec une empathie parfaitement synchronisée à leurs désirs. L’accordéon donna le signal. Comme un seul homme, les danseurs posèrent un genou par terre pendant que les femmes s’avancèrent, chacune derrière un partenaire. Ils exécutèrent ensemble des figures d’une grande virtuosité, avec une complicité qui, le temps d’une danse, fut palpable et enviée par les spectateurs.
L’homme tendait une main, la femme lui tournait autour, puis le danseur se relevait et ils dansaient à deux, il la faisait tourner, sa robe tourbillonnait autour de ses jambes. Leurs deux corps ne faisaient qu’un.
Rucsandra fixait intensément son partenaire au regard bleu azur, leurs yeux ne se quittant jamais, ils se transmettaient du regard, de la main, de la hanche les mouvements à faire. Le jeune homme la serrait dans ses bras, puis il la lançait en l’air, il la faisait tourner autour de sa tête, il la montrait au monde entier, fièrement, comme un trophée, pour revenir sur terre agenouillé devant elle comme s’il lui faisait une promesse et Rucsandra eut alors la certitude qu’il était son promis, qu’il lui était destiné.
Les yeux des femmes brillaient d’une ivresse sortie du tréfonds de leurs ventres, leurs joues étaient en feu, des mèches de leurs cheveux s’échappaient de leurs coiffures retenues par des petits foulards colorés, pour celles qui étaient mariées.
Elle n'était personne dans ce moulin politique qui broyait ensemble la misère et les rêves.
Je m’appelle Adina. À l’heure où j’écris ce récit, je suis mariée à Victor depuis deux décennies. Nous nous aimons et je crois bien que notre rencontre n’est pas le fruit du hasard.
Ma sœur aînée, Vara, habite dans un appartement mitoyen à notre maison.
Ma mère m’a accompagnée tout au long de mon chemin en surfant sur les vagues de mon existence comme une championne. Elle a posé ses valises il y a quelques années dans notre maison, dans une chambre sous le toit.
Je suis née en Roumanie, dans une grande et belle ville aux airs d’occident.
Robert enleva le papier et regarda le tableau. Ce fût comme une reconnaissance. Une émotion vive l’envahit et ses yeux s’humectèrent comme s’il retrouvait un endroit familier. La toile représentait un paysage hivernal au bord d’une rivière ou d’un lac. La terre était couverte de neige qui au jeu de la lumière paraissait se mouvoir. Dans le ciel, des oiseaux, volant en cohésion, rompaient la formation et descendaient, en se laissant flotter vers le sol comme des flocons de neige. À ce moment-là, en regardant plus attentivement les détails du tableau, il comprit que la terre n’était pas enneigée mais couverte d’oies blanches. Il y en avait des milliers ! Serrées les unes contre les autres, corps contre corps, elles donnaient l’impression d’une terre immaculée sur laquelle aucun être n’avait encore laissé sa trace. Une terre blanche, où tous les chemins étaient à construire.
Elle l'avait soutenu dans la décision d'accepter le poste chez Duval & Co, en envisageant peindre n'importe où, car l'essentiel c'était d'être ensemble. Cette condition aurait dû suffire à leur amour ! Mais son mari avait enterré son rêve à elle par le silence de ses absences.