La forêt s’ouvre et le ciel se déploie. L’ours gris court devant son ombre. L’aube est encore loin. Là-haut, les étoiles brillent pour quelques heures encore.
Ainsi le fleuve coule t'il vers l’estuaire, l’océan, la fusion, impassible. Puisqu’un jour il redeviendra source, puisque le cycle est éternel, à quoi bon l’appréhension de s’y perdre ? À mesure qu’il s’approche, son contour se transforme entre les bras de mer. La masse de l’écume rencontre celle de la boue. Puis cela s’équilibre en quelques remous. Tout retourne là où tout commence, dans ce grand pays lointain et profond qui endort l’eau douce dans le sel et l’iode.
Le soleil vertical et le ciel tout entier viennent alors au plus près pour pouvoir se baigner. Sur l’eau scintillent des milliers de taches de lumière. Il faut les fixer longtemps pour qu’elles s’allument sous nos paupières. Les marins le savent : derrière les yeux fermés, leur éclat a le pouvoir d’éteindre les pensées.
Pour recadrer nos pensées et créer des alternatives aux programmes par défaut qui s’enclenchent au moment de nous mettre au lit, chacune de ces histoires propose un itinéraire différent vers une seule destination : une bonne nuit de sommeil. Elles sont des chemins pour se laisser bercer, pour imaginer, pour se rassurer ou lâcher -prise… Mais chacune, reste, avant tout, un chemin pour se perdre. Car à la fin – et c’est là le grand mystère – nul n’aura jamais conscience d’être enfin parvenu à s’endormir.
J’enfonce plus profondément mes poings dans les poches et me cale à nouveau sur le plus proche silence entre les bruits. J’éprouve un certain plaisir à me maintenir à l’écart du flux, à ne pas faire partie, pendant quelque temps, du public sous contrôle qu’on balade à droite ou à gauche à la faveur des affichages. La signalétique dirige l’évolution des foules, mais, quand le retard survient dans ce temple de l’exigence horaire, on se rend compte que la béatitude de la nonchalance est finalement toujours à portée de main.
Derrière la vitre, la pluie a séché. Le signal lumineux scande sans discontinuer. « Entrée / Entrance ». Le couloir s’est vidé.