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Citation de PATissot


Quelques extraits autour de Liselle, le petit elfe aux cheveux d’or :

Le 11e jour de mai 1467

Pour la première fois depuis mon départ de Mayence, je me sens presque joyeux. Jamais je n’ai vu autant de verts différents. Comme je voudrais savoir les peindre ! D’abord, je poserais le vert vif du champ de blé, là-devant. Puis, dans le fond, j’étalerais les monts des Vosges, une masse d’un vert sombre, presque bleu. Enfin, je tracerais des traits d’un vert plus clair, bien alignés, que je distingue à leur pied.
– Ce sont les vignes, m’a expliqué Liselle.
– Bientôt, les fées viendront chez nous, a-t-elle ajouté avec le plus grand sérieux. L’été, elles soufflent une poudre d’or sur les blés et, à l’automne, elles enveloppent les raisins d’une robe de soleil.
Liselle ? Elle est assise à mes côtés, sur la mousse, bien droite dans sa robe grise et son bonnet blanc. Elle me regarde écrire, les sourcils froncés. Je crois qu’elle me prend pour un magicien.
J’ai rencontré cette fille et son frère Peter vers le milieu du jour.
(…)
J’allais l’aider. À nous deux, nous sommes parvenus à hisser le porc sur le chemin. Nous étions aussi rouges qu’essoufflés.
– Peter Barth, a annoncé le garçon, en me tendant la main. Je suis désolé, celui-là n’en fait qu’à sa tête, a-t-il précisé en montrant le porc du menton.
– Martin Grünbaum, de Mayence, me suis-je présenté à mon tour. Ce n’est pas grave.
– Où vas-tu comme cela ?
À Strasbourg, chez mon oncle Hans, orfèvre près de la cathédrale. Sais-tu combien d’heures de marche il me reste ?
– Guère plus de quatre heures. Mais il est tard, maintenant. Si tu entres en ville après la douzième heure du jour, les gardes du guet risquent de t’arrêter et de te jeter dans la tour du Bourreau.
Écoute, j’ai une idée. Veux-tu venir dormir chez nous ? Ma petite sœur Liselle est là-bas dans le bois de chênes avec notre deuxième cochon. Nous y resterons encore un peu, que les bêtes finissent de manger. Je dois aussi ramasser des glands pour la bouillie. Après, nous rentrerons au village. Tu partageras notre souper et le père te fera un lit dans l’étable… loin des porcs. Je te dois bien cela !
J’ai hésité un peu, puis j’ai accepté l’offre de Peter. Il me l’a proposée si gentiment. (…)


Le 12e jour de mai

Je suis à Strasbourg, place du Fronhof, chez mon oncle et ma tante, dans ma chambre, juste sous le toit. Par la lucarne, j’aperçois à droite la maison de Johannes Mentelin. Juste derrière se dresse la cathédrale, toute rose dans le soleil couchant. Demain, j’irai prier Notre-Dame et remercier Saint Christophe, qui m’a permis d’arriver sain et sauf.
J’ai sommeil ce soir. Je me suis levé à l’aube avec Peter pour aller chasser les crapauds et les hannetons dans le potager, avant de reprendre la route. C’est le travail de Liselle, mais la petite croit que les fées et les enchanteurs peuplent le jardin et elle refuse de toucher aux animaux. C’est une drôle de fille, cette Liselle, pourtant j’étais un peu triste de les quitter, elle et sa famille. Ils m’ont si bien accueilli… Et puis, j’étais heureux de parler avec un garçon de mon âge. À Mayence, les autres me tenaient à distance car ils avaient peur des représailles de mon ennemi, le Grand Ulrich.
Peter m’a promis qu’il viendrait à Strasbourg pour la grande foire de la Saint-Jean, en juin. Je lui ai expliqué où était l’atelier de Mentelin.
Je n’ai d’ailleurs eu moi-même aucun mal à le trouver : il suffit de suivre en direction de la cathédrale. J’irai m’y présenter demain.
Dès que j’ai vu mon oncle et ma tante, mes craintes se sont dissipées. Mon oncle Hans est le contraire de mon père. Il est rouge et fort et parle sans cesse. Ma tante Anne est moins bavarde, heureusement. Elle est maigre, avec des yeux clairs et une peau très pâle, un visage étrangement immobile. Elle a l’air triste. Mais elle m’a embrassé plusieurs fois et elle a seulement dit :
– Regarde, Hans, il a les cheveux de sa mère !
Puis elle a pris mon sac qu’elle a tenu à porter elle-même jusqu’à la petite pièce installée pour moi tout en haut de la maison : j’ai un lit en noyer recouvert d’un gros plumon et un coffre peint pour ranger mes affaires. Tante Anne se taisait toujours et n’arrêtait pas de me regarder. Je lui ai dit que j’allais sûrement me plaire dans cette chambre, et soudain. Elle a souri. Son visage en était transformé. Plus gai, les yeux brillants, les joues plus roses. Nous sommes redescendus dans la salle du premier étage, à côté de la cuisine. C’est là que mon oncle et ma tante vivent, quand ils ne sont pas en bas, lui, à l’atelier, et elle en train de tenir les comptes. La figure de tante Anne avait déjà reperdu son éclat mais elle m’a gavé de petits pains. Mon père m’avait prévenu qu’elle a perdu deux enfants avant de pouvoir les sevrer, et que la petite dernière est morte des fièvres à l’âge de six ans… C’est certainement pour cela qu’elle a l’air si malheureux, mais je crois qu’elle est vraiment contente de ma venue.


Le 25e jour de juin

Ça y est, cette fois j’ai revu Peter et Liselle. Hier, ils sont retournés à la foire avec leur père et sont passés chez l’oncle Hans. Tante Anne leur a indiqué où se trouvait l’atelier de Mentelin. J’ai montré à Peter comment on choisit dans la casse les caractères de plomb, comment on les place patiemment ligne après ligne dans la forme, et comment on enduit d’encre les balles de tissu avant de les frotter sur les lettres. Il a vite compris.
Je crois que, si son père le laissait quitter son village, Peter ferait un bon ouvrier typographe…
Pendant ce temps-là, Liselle est restée adossée contre le mur, sans bouger, les bras croisés sur son petit panier rempli de feuilles de chicorée. On aurait dit un petit elfe, avec ses cheveux d’or qui dépassaient du bonnet, son air grave et ses yeux bleus tachetés de points blancs.
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