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Citation de collectifpolar


— Je vous présente mes condoléances, monsieur Clinton.
— C’est ma faute, à cause d’un truc qu’est arrivé y a longtemps. T’étais à Anchorage chez tes parents nalauqmiut. »
Active n’était pas surpris que Daniel Clinton en sache autant sur son compte. Depuis son arrivée à Chukchi l’année précédente, la nouvelle s’était vite répandue que le bébé adopté par un couple d’enseignants blancs avait grandi et était revenu comme State trooper. Ceux qui ignoraient son histoire avaient bientôt pu la puiser dans les potins qui coulaient toujours à flots dans les rues du village. « Je crois que j’en ai entendu parler », dit Active pour lui laisser comprendre qu’il n’était pas obligé d’évoquer la malédiction s’il n’en avait pas envie.
« Tu veux du café, monsieur Active ? » Manifestement, il ne souhaitait pas aborder le sujet. Active acquiesça d’un signe de tête et, quand Clinton eut terminé de le servir, il lui demanda si George s’était comporté différemment ces derniers temps. « Non, m’avait l’air d’aller bien. L’a un boulot à la Gray Wolf, il gagne un peu d’argent et s’est acheté une nouvelle motoneige. L’a l’air heureux. Y compte bientôt partir d’ici, se trouver une maison à lui. Je commence à penser que George est tiré d’affaire, mais non. »
La Gray Wolf était une importante mine de cuivre qui avait ouvert l’année précédente, sur le cours d’eau du même nom à cent cinquante kilomètres au nord de Chukchi. GeoNord, une société norvégienne, était chargée de l’exploitation, mais le sol appartenait à la Chuckchi Region Inc, l’association indigène regroupant tous les Inupiat des environs. Les Norvégiens veillaient donc à embaucher beaucoup d’autochtones et avaient aménagé un rythme de travail adapté à une population passionnée de chasse et de pêche : deux semaines à la mine, deux semaines de repos. L’entreprise prenait à sa charge l’aller et retour en avion, ou versait la somme équivalente à ceux qui préféraient rejoindre Gray Wolf en motoneige.
« George venait de rentrer de la mine ?
— Lundi, je crois. L’est passé aux bureaux de GeoNord, un truc à régler pour le boulot. L’a chassé le lapin derrière la lagune, l’a passé du temps chez Emily Hoffman, l’a traîné ici et là. Tu sais comment sont les jeunes. L’a dans l’idée d’aller chasser le caribou, si la glace redevient solide sur la baie de Chukchi après le redoux qu’on a eu.
— Emily Hoffman ? dit Active en notant le nom dans son calepin.
— Sa copine. Je crois bien qu’elle est enceinte. Je me dis qu’ils vont bientôt se marier.
— Savez-vous qui il est passé voir chez GeoNord ?
— Il m’a pas dit. Juste qu’il a un truc à régler. Quand il est revenu, l’a juste dit que c’était bon.
— On a retrouvé une carabine 30-30 à côté de lui. Il en possédait une ?
— J’en ai une dans le kunnichuk. Je peux aller vérifier si qu’elle est là.
— Pas la peine, fit Active. J’ai regardé en arrivant et elle n’est plus là.
— Il a pris la Winchester, se lamenta Clinton de sa voix rauque. C’est avec elle que je lui ai appris à tirer. Je me souviens de la première fois que je l’ai emmené chasser le phoque sur la banquise, murmura-t-il en portant le regard vers la lagune. Un jour de printemps, beau soleil, ciel bleu, pas beaucoup de vent. On est sortis en motoneige, à vingt-cinq, trente kilomètres, là où y a pas mal de trous d’aération faits par les phoques. Je repère une crête de pression près d’un trou qu’a l’air de beaucoup servir et j’installe George pour qu’il attende. C’était encore un petit bonhomme dans sa parka blanche, l’avait huit ou neuf ans, mais il est resté un bon moment sans faire de bruit, à surveiller le trou. Le phoque finit par sortir la tête, et je me dis que George va peut-être tirer trop vite, que le phoque va disparaître dans son trou et que ça sera fichu. Mais George tire pas, il attend. Bientôt, le phoque sort complètement sur la banquise, il jette un coup d’œil à la ronde et il s’endort. C’est là que George tire. Pile dans l’œil, l’animal s’agite même pas, sa tête retombe juste comme s’il dormait. George, il me regarde et il me sort : “Ça y est, je suis un vrai Esquimau ! Hein, papa ?” »
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