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Citation de lafilledepassage


Une chose continue d’occuper ses pensées, les jours suivants. Le spectacle des têtes d’animaux dans la cour crasseuse. Dans son souvenir, la douce lumière de l’après-midi brille sur ce tas de laideur à couper le souffle, et ce qu’il voit sont des couleurs, des teintes, les transitions les plus subtiles entre la lumière et l’ombre, les gris et le rouge, le sépia et le bleu nuit, le rouge foncé devenu presque noir, le jaune délicat presque blanc, d’un morceau de pelage près d’un museau mort. Il se rappelle un des vieux livres que feuilletait son père, en particulier un certain tableau qui l’avait marqué quand il était enfant : une carcasse de taureau, peinte par le célèbre Rembrandt. Ce tableau représentait une chose dont on ne pouvait dire qu’elle était belle en soi, mais qui était transmuée en un spectacle puissant et beau. Cette contradiction le ronge au plus profond de son être. Il prend lentement conscience, tandis qu’il fixe la bouche mugissante du four à la fonderie et que les projections dansent autour de lui comme des lucioles, que le choc provoqué par sa répugnance face au tas apocalyptique de viande pourrissante remplie de regards morts a éveillé quelque chose qui l’attire, qui le fait souffrir, qui ouvre en lui un nouvel espace – que pour la première fois est né en lui un désir qui semble le dépasser. C’est le désir de dessiner et de peindre, et dès l’instant où il s’en rend compte, juste au moment où il serre une fois de plus entre ses mains une de ces lourdes cuillères remplies de fer en fusion, il a l’impression de sentir ses genoux fléchir. Sa soudaine prise de conscience l’assaille avec une force intense, empreinte d’une certaine culpabilité.
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