Stéphane Martin aux Matins de France Culture
La plupart des artistes de l'après-guerre organiserent donc leur formation entre de tels centres de formation artisanale, un "stage" de plus ou moins longue durée auprès d'un artiste chevronné et, souvent, un passage par l'école des beaux-arts. A la fois contraints par la quasi-disparition de la clientèle traditionnelle de collectionneurs d'objets du thé et mieux informés que leurs anciens du contexte artistique général de l'époque, ils produisent peu et s'orientent résolument vers la création de véritables sculptures ou en tout cas d'oeuvres en bambou, bien éloignées d'un vase à fleurs ou d'une boîte pour ranger des documents.
Hayakawa Shõkosai se livre à de sa position d'artisan vannier assujetti au goût chinois exigé par des grands amateurs et s'efforça de créer des objets d'expression plus personnelle, dans un style novateur. Il signait "fait par Shõkosai" ou "Shõkosai du Grand Japon", un fait inédit chez les artistes du bambou. Aussi peut-on dire que Shõkosai contribua à réformer la conscience professionnelle des artisans, transformant le statut d'artisan-vannier en celui d'artiste-vannier, suscitant l'intérêt des jeunes à suivre la même voie.
D'aucuns penseront que les tissages méticuleux sont les plus difficiles, mais en réalité, tresser peu de lamelles en profitant de la force répulsive du bambou est plus ardu.
On touche là à une autre originalité de cet art qui semble plonger ses racines dans des temps immémoriaux et dont l'histoire est pourtant si brève : ces oeuvres qui participent à ce que l'on pourrait qualifier de versant traditionnel, voire traditionaliste de l'histoire de l'art japonais au XXe siècle, exportées comme des illustrations idéales des codes esthétiques de l'archipel, dialoguent presque sans interruption avec l'occident à travers les arts décoratifs et plus tard l'architecture.