Fendre l'air : Art du bambou au Japon

J'adore le musée Branly, sa façade végétale, ses alvéoles cubiques et colorées au milieu des hautes cannes de bambou qui ondoient sous la brise des bords de Seine...mais je n'imaginais pas que, de ces mêmes cannes, sous des doigts habiles et inspirés,  puissent surgir , dans ses vitrines éclairées comme de fantastiques  aquariums, des formes aériennes, poétiques, audacieuses, de véritables sculptures bien plus que d'élégants paniers!

Fendre l'air !  le titre de l'expo et du catalogue est déjà tout un programme!

Dans un tressage subtil ou plein d'une étonnante force, les tiges de bambou dessinent dans l'air des volumes, des lignes, des espaces qui sont ceux d'un rêve de sculpteur.

Venue de Chine  au Japon au VIII ou IX e  siècle  la cérémonie du thé , le sencha , réservée à une élite princière ou aux seigneurs de guerre, les shoguns,  demande nombre d'accessoires raffinés, très prisés des collectionneurs .

Ces objets chinois de collection sont  en métal, laque, porcelaine, ivoire, mais aussi en bambou : étagères de rangement, écran, plateau, vase réservé à l'ornement floral.

Mais dans les collections anciennes, retrouvées chez les amateurs japonais, on trouve conservés  relativement  peu d'objets en bambou signés par l'artisan avant l'avènement des Meiji- en 1868.

Cette dynastie  bouleversa considérablement l'économie et la société japonaises, en développant rapidement une classe moyenne qui va se passionner à son tour pour le sencha,  en faisant la part belle, cette fois,  aux objets de bambou, cette plante souple, élégante et solide,  symbole du Japon depuis des millénaires, et en favorisant la création japonaise, même quand elle s'inspire encore des modèles chinois,   en particulier dans la région d'Osaka.

La vogue devient passion, et le premier vannier-artiste s'appelle Hayakawa Shõkosai.

Soutenus par une clientèle de lettrés, les artistes-  vanniers se multiplient, signent leurs oeuvres, fondent des écoles, des ateliers et même des "lignées ". On est artiste-vannier de père en fils, avec des numéros en chiffres romains, comme les empereurs ou les rois!

À cet essor fulgurant de l'art du bambou va succéder, inévitablement, un déclin.

À  partir des annees 30 et surtout après la deuxième guerre mondiale,  le choc nucléaire, la capitulation puis l'occupation américaine, disparition d'une clientèle traditionnelle et fermeture progressive des ateliers artisanaux.

Mécanisation, industrialisation, plastique sont les maitres-mots d'une production qui recule devant la lenteur, la patience, le travail manuel et solitaire de l'artiste-vannier. ..

Néanmoins de grandes "dynasties" d'artistes  continuent de produire des oeuvres où tradition, recherche et modernité s'allient avec élégance. Leur "résistance" s'organise surtout sur l'île de Kyūshū où naissent des ateliers de formation, des stages autour d'un "maitre" et une école des beaux-arts.

Certains grands sculpteurs du bambou partent vivre à l'étranger, travaillent à la commande et...par ordinateur interposé avec des chercheurs, des architectes, pour vendre leurs oeuvres à de riches amateurs, mais presque tous reviennent au Japon puiser leur inspiration dans une tradition toujours vivace et une proximité avec l'origine de leur art.

Une familiarité avec  la culture littéraire aussi, car toutes ces pièces aériennes, abstraites, raffinées, ont des noms poétiques empruntés aux légendes ou aux poèmes nippons, ce qui n'est pas sans leur ajouter des grâces supplémentaires.

Le catalogue, passionnant et très instructif, est d'une lecture indispensable après la fascinante magie d'une  visite d'où l'on ressort ébloui.. .