AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Cielvariable


Ce que Zapruder appelait le « Panoptique » était à la fois son bureau, son lieu de méditation et un poste de surveillance.

De là, il pouvait tout voir. Non seulement ce qui se passait sur les dix-neuf plateformes où les cobayes étaient allongés, mais aussi ce qu’ils étaient en train de rêver dans le simulacre.

Derrière son immense bureau en arc de cercle, les séquences de rêve apparaissaient sur une soixantaine d’écrans.

Lorsque Zapruder avait besoin de détourner ses pensées d’un problème technique ardu, il se calait confortablement dans son fauteuil et se tournait vers cette mosaïque de rêves.

Il se sentait alors comme un enfant à une projection de lanterne magique.

Il pouvait voir la construction en cours de L’Aigle, le yacht de l’Empereur, sur les chantiers de la marine impériale. Déplaçant son regard de quelques centimètres, il entrait dans une manufacture de papiers peints où sifflait une machine à vapeur de douze chevaux. Puis il arpentait les boulevards, croisait une serveuse en tablier blanc, un gendarme dans son uniforme à trèfles. Levant les yeux, il franchissait la barrière Poissonnière à cinq heures du matin, derrière une file d’ouvriers portant une brique de pain sous le bras. Au centre de la mosaïque, il pénétrait dans la rotonde des locomotives du Bourget où luisaient des monstres d’acier qui allaient déferler aux six coins de l’Hexagone.

Et quand l’envie le prenait, il branchait l’agrégateur sonore de Cité 19.

L’activité cérébrale de chacun des cobayes, captée par une vingtaine d’électrodes, était convertie en sons. Les paroles, les murmures et les cris entendus dans le simulacre s’assemblaient pour former une gigantesque chorale.

La première fois que les ingénieurs firent écouter cela à Zapruder, il n’en crut pas ses oreilles. Cet appareil permettait d’entendre les rêves conjugués des cinq cents cobayes. C’était devenu pour lui une consolation, un refuge. Dès qu’il se sentait accablé par la complexité du protocole, il branchait l’agrégateur.

Les premiers instants, on ne percevait que des soupirs, des chuchotements qui s’amplifiaient peu à peu. Ensuite venaient les conversations, les rires et les cris de plus en plus distincts. Ils semblaient pris dans un tourbillon. Alors, un bruissement harmonieux montait, culminait, venait flatter l’oreille comme si les cinq cent soixante cobayes de Cité 19 s’étaient rassemblés pour chanter un hymne.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}