Le genre de l'autobiographie doit beaucoup au modèle augustinien. Peut-être pour la première fois dans un texte littéraire, l'hôte de Cassissiacum décrit avec une précision clinique ce qu'on appellera "la délectation morose". En état de veille comme dans ses rêves, Augustin connaît le "consentement" à tous les phantasmes que lui procure "quelque chose qui ressemble exactement à l'acte lui-même." Il est amené alors à un douloureux travail d'introspection : est-ce lui-même qui est ainsi la proie de ces images ? Il constate amèrement que oui. Cet effort de lucidité lui coûte autant que la résistance à proprement parler à ses appétits. Il évoque sa douleur, "dolor", et sa souffrance, "labor", ce dernier terme devant être pris au vrai sens, virgilien, de ce mot : une peine et une angoisse, et non pas un "travail opiniâtre" comme on le comprend à tort en lisant les Géorgiques. Il tente bien de lire les Psaumes, mais sans parvenir à se libérer de son "ardeur" : "Je lisais et je brûlais", avoue-t-il dans une formule ambiguë, dont on ne sait si elle doit être prise, comme un acquiescement au message des Ecritures ou comme l'analyse d'une contradiction.
pp. 205-206
L'Augustin qui écrit les Confessions est ravagé par un sentiment dominant, exacerbé et perpétuel, de grande culpabilité. Les causes en sont multiples et on en rencontrera une description plus loin. Disons pour l'instant simplement que l'évêque se trouve dans l'impossibilité absolue d'avouer (n'oublions jamais que le mot "confessions" ne signifie pas unilatéralement "aveux", une pareille traduction, parfois utilisée dans le monde de l'édition, confinant au contresens) vers 400-402 que le jeune élève qu'il fut prit plaisir à lire l'Enéide, à vivre par délégation la passion de Didon ou à pleurer avec elle au moment des adieux d'Enée.
p. 36
(Biographies de l'Histoire Auguste). L'opposition du biographe au christianisme n'est jamais exprimée de manière explicite. Le propre des oeuvres païennes du IV°s réside dans leur apparente neutralité, leur silence sur les persécutions ou les mesures religieuses des empereurs chrétiens. En réalité, on tient là un critère certain pour les identifier comme païennes. Il n'y a pas, dans l'Histoire Auguste, de lutte frontale contre les idées religieuses nouvelles, mais plutôt des allusions, des pastiches et des clins d'oeil ironiques.
p. 291
Un grand spécialiste d'Augustin, Adolf von Harnack, écrivait en 1922 : "Il y a un préjugé contre la rhétorique : on veut que, partout où elle apparaît, elle soit jugée chose méprisable, comme manquant de sincérité. Mais elle est un art, tout comme la poésie ; je dirai plus, elle est elle-même une sorte de poésie ; et dans l'Antiquité un sentiment vrai pouvait fort bien, sans se trahir, jouer de cet instrument-là."
p. 298
"Un innocent se défend toujours très mal", avait coutume de dire un grand avocat français.
p. 24
Les mémoires d'Augustin sont un vaste champ de bataille, celui de leur auteur aux prises avec lui-même. Le but même de ces aveux consiste non pas à résoudre un conflit qui appartient au passé, mais à en dissimuler la violence. L'écriture arrondit les angles et polit les aspérités trop visibles. Parmi elles, cette opposition entre la destinée en cours du rédacteur de l'année 400 et le chemin tortueux, précisément déviant, qui finit par le conduire là où il est, sur le siège épiscopal d'Hippone.
p. 170
La satire était devenue l'arme ultime des vaincus dans la lutte religieuse commencée au temps de Constantin et en passe de s'achever du vivant d'Augustin, une arme, comme l'écrivait Littré au mot "satire", "dont il semble qu'il ne doit être permis de se servir que contre ceux qui par leur rang ou leur pouvoir sont à l'abri de tout autre châtiment."
p.263
... le récit des Confessions est avant tout une construction littéraire fondée sur cette spécificité de toute écriture dans l'Antiquité tardive, qui est essentiellement une réécriture. Le vol des poires est un palimpseste. Ce qui est sous-jacent, c'est bien sûr une réflexion sur le mal, mais aussi un jeu d'artiste.
p. 68