Ils arrivent à l'endroit prévu pour la coupe, un bosquet d'arbres aux lignes parfaites. La lumière a un peu plus de mal à franchir le rideau végétal, le silence est à peine troublé par les bruits des rares animaux qui sont là, dans l'ombre ; un calme profond règne sur le lieu. Ils s'arrêtent, la journée s'annonce vraiment belle, bienheureuse. Pourtant...
Mais en vérité, pourquoi vouloir toujours chercher plus loin, vouloir toujours découvrir au-delà, s'exposer à l'inconnu, à l'inconnaissable, "tenter le diable" ainsi que le bon sens populaire l'exprime, au lieu de s'abandonner au monde, de le vivre dans sa présence éclatante sans autre désir que d'être en paix avec lui, en lui ?
-Oui, pourtant j'existe bien moi, je suis bien réel. Et c'est la même chose pour la table par exemple : on la voit, on peut la toucher, elle est solide.
-C'est vrai, mais n'est-ce pas une croyance construite par nos sens ? On parle bien de fantômes ou de racine carrée, de rêves aussi, et pourtant ces objets n'existent pas physiquement. Tu sais qu'un amputé peut continuer à parler à sa jambe et même affirmer avoir mal à cette jambe qu'il n'a plus pourtant ?
Julius était resté sans rien dire, perplexe. Mettre en doute tant d'évidences l'avait troublé. Il aurait bien voulu discuter avec un amputé, "lui tenir la jambe", en quelque sorte.
Les voix sourdes, tremblantes, les regards inquiets trahissent une peur terrible, comme si, par leur seule évocation, les puissances maléfiques qui oeuvrent sur ce territoire infernal pouvaient s'immiscer dans les esprits, s'en emparer et rendre fous les impudents qui osent ne serait-ce qu'y penser. Il est question de chaos, de ténèbres éternelles, de monde livré aux forces du Mal qu'il faut un jour affronter, irrévocablement. Car cet effroyable royaume du néant n'est pas seulement un espace géographique ou mythique, il est un espace intime, en chacun.