Je suis seule dans cette cellule. Seule avec la rage au ventre. Des souvenirs des anciens prisonniers affleurent, m'enveloppant d'impressions, d'images brumeuses. Lasse de lutter, je m'abandonne très légèrement à leur étreinte. Ce ne sont guère plus que des frôlements qui me permettent de fuir l'oppressant présent du cachot : colère de cet assassin, lion enfermé dans une cage trop exiguë ; larmes et tremblements de cette femme rongée par la drogue et la maladie ; accablement de cet homme à qui l'on a tout pris et qui s'est vengé. Toujours les mêmes histoires, toujours les mêmes rengaines : existences minables et désespérées, combines malsaines, morts en sursis. Cliquetis, crissements du bois frottant contre le métal. Je tourne les yeux vers la porte. Ça y est. On vient me chercher. (C. Bousquet, La stratégie de l'arraignée)