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Bibliographie de Sydney Simonneau   (3)Voir plus

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Marie, ce soir-là, était-elle inspirée par cette terre qui l’avait accueillie ? Songeait-elle, en jouant, à ses hautes falaises, à ses montagnes nuageuses, à ses lacs innombrables, à ces foules de manchots et à leur démarche chaloupée ? Quels itinéraires retrouvait-elle en enchaînant balades et complaintes, chansons et berceuses ? Les cris du glacier, le murmure des pierres, la plainte des îles trouvaient-ils ici leur musicale traduction ? À ses côtés, l’électricien soulignait ces phrasés de son souffle enchanteur. Plusieurs fois, ils improvisèrent. Là, ce furent des instants de pure magie au cours desquels les regards qu’ils s’échangeaient semblaient combler l’absence de partition. Quoi de plus logique, après tout, sur cette terre où aucune route ni aucun sentier ne guide les hommes. Où l’espace s’ouvre en grand, en très grand au marcheur. Où chaque pas s’improvise, tout le temps. S’improvise mais doit être terriblement pensé, étudié. À l’image de ce territoire sans chemin, leur musique prenait de plus en plus de liberté, elle se jouait des impératifs solfégiques, elle prenait son envol en suivant les traces de l’albatros, puis nageait dans un océan acoustique aux côtés des grands orques, ceux que l’on surprend parfois à parler aux vagues. Les notes envahissaient la salle puis se perdaient dans la nuit australe, comme ces pincées d’étoiles que les nuages absorbent.
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Caressée par les eaux de Rio, délicieusement léchée par les rayons de son soleil, étourdie par le silence approximatif dans lequel elle venait d’être plongée, Marie mentalement se métamorphosait. Elle s’imaginait indienne, le corps nu, les longs cheveux bruns flottant autour d’elle, un simple collier autour de son cou. Elle voyait le village primitif, les enfants accrochés au dos de leur mère. Elle saluait des hommes rougis par la terre étalée sur leur peau, elle entendait leurs paroles, leurs chants. Elle soutenait l’aïeule peinant à regagner sa couche. Elle avait des regards pour un chasseur au sourire inouï, debout face à l’immensité de la forêt. Elle se hasardait à vouloir effacer cinq siècles d’histoire, au mépris de toute logique, de tout réalisme. Elle savait, pourtant, que l’enfer allait bientôt débarquer pour ces femmes et pour ces hommes. Et que cette terre, alors, allait être définitivement marquée du sceau de la violence. Marie l’autochtone, Marie la sauvage sentit progressivement son corps d’indienne s’évanouir au milieu des eaux, se dissoudre dans la mémoire de la baie. Des éclats de voix lui parvinrent, des silhouettes d’immeubles, un avion dans le ciel. Elle se reconnectait lentement avec le réel, avec le présent. Cessant de faire la planche, elle entreprit alors de rejoindre la berge en nageant le crawl. Cela devait faire presque une demi-heure qu’elle était dans cet élément liquide qu’elle affectionnait tant mais là, elle désirait se reposer et récupérer un peu sur sa serviette.
Allongée, elle sentit la douceur bienfaitrice du sable sous elle, ses pieds caressant doucement cette matière douce et malléable. Autour d’elle, des joueurs de volley, des couples d’amoureux, des enfants braillards, quelques vieux sur leurs pliants … le bruit sourd des vagues, le cri d’une mouette. Sans qu’elle puisse expliquer pourquoi, elle se sentit tout d’un coup envahie par une grande tristesse. Sa gorge se nouait, une douleur étreignait sa poitrine et elle sentait ses mains devenir moites. Rien pourtant n’aurait su expliquer le brusque surgissement de ce sentiment qui maintenant la submergeait. Elle cédait aux assauts répétés de la nostalgie, de la solitude et de l’anxiété. Sa vue alors se troubla. Le décor autour d’elle se déformait, le ciel se courbait en cherchant à enlacer les vagues de l’océan, les collines chargées d’arbres ondulaient autour des gratte-ciel. Marie pleurant, Rio se contorsionnait.
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Ville dans la ville, Paraisópolis gardait le silence sur son histoire. Sur ses histoires. Pas d’officiel cadastre, nul plan ne permettait de se faire une idée, même approximative, des étapes successives du développement de cette favela. Le mystère s’acharnait à flotter au-dessus de ce désordre de baraques. Restait-il quelque part, dans un des recoins les plus à l’écart, quelques bâtisses primitives ? Et comment cela avait-il commencé ? Comment s’était propagé l’information entre ces pauvres jetés le long des routes, sans repères ? Comment avaient-ils appris qu’en ces lieux ils pourraient envisager d’exister, de vivre ? Qu’ils pourraient y bâtir leur repaire ? Peut-être aussi qu’un dirigeant politique, un officiel, avait en ces premiers instants choisi de ne rien dire, de fermer les yeux et de laisser faire ? Décision lumineuse autant qu’anonyme. Le destin de beaucoup suspendu à la volonté d’un seul.
Qui avaient été les premiers habitants ? Comment étaient-ils parvenus à s’imposer face aux grands arbres, aux marais, à la morsure des orages sur cette lourde terre rouge ? Par quel miracle cet endroit délaissé, méprisé allait-il devenir le sanctuaire des laissé-pour-compte ? Ces terrains snobés par les classes privilégiées s’offraient alors généreusement aux nécessiteux qui débarquèrent ici par milliers. Le dédain autorisa l’hospitalité. Le mépris l’accaparement.
D’où venaient-ils et combien se fixèrent définitivement sur ces marges excentrées de la gigantesque mégalopole ? Combien durent renoncer, terrassés par la pauvreté et la faim ? Combien périrent, laissant derrière eux une ébauche de cabane, un semblant d’abri ? Ignorées et dédaignées par les notables de la cité, les premières générations à vivre là durent sans doute connaître, en plus du dénuement, l’angoisse de l’expulsion. Ce fut certainement le nombre qui, à un moment donné, permit à ces populations devenues nombreuses d’acquérir une forme de sécurité. Venus pourtant des quatre coins du Brésil, tous ces hommes et toutes ces femmes affichaient une espèce de ressemblance.
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Mário se tenait debout sur le seuil de la porte et regardait au loin. Là-bas, au-delà de cette océan de constructions hétéroclites. Les différents quartiers qui ceinturaient la favela formaient une barrière. On eut dit les murs d’une gigantesque prison empêchant les habitants de Paraisópolis d’accéder au reste de la ville. São Paulo ne faisait-il que tolérer l’existence de ces zones en marge de sa logique urbaine ? La grande ville consentait-elle seulement à admettre leur existence à la condition expresse qu’elles n’empiètent jamais sur ses secteurs officiels et respectables ? Il suivait le contour biscornu de l’horizon dessiné par cette suite interminable d’immeubles et de gratte-ciel. Tout lui revenait en pleine face à cet instant précis. Il la revoyait, Paula, avec son sourire et son regard si doux. Il revoyait cette petite frimousse qui lui criait son amour sans jamais avoir osé lui dire. Il la revoyait comme il revoyait aussi Diego, Gabriela, Eduardo et tous les autres. Il repensait à leur enfance, à leur jeunesse passées ici, dans cette immense favela du district de Vila Andrade. Aujourd’hui, il lui semblait que cette immense favela n’était plus constituée que d’impasses. Ils croyaient parfois pouvoir s’en extraire mais c’était pour mieux y revenir, encore et toujours. Ils la portaient dans leur chair, elle coulait dans leurs veines. Ils l’avaient définitivement tatouée sur le corps et ne pouvaient et ne voulaient s’en séparer. La fierté de ceux qui n’avaient presque rien résidait justement là, dans cette appartenance à cette communauté que la misère rassemblait.
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Par la force des choses, Paraisópolis s’était résolue à s’équiper de deux bien dangereuses béquilles. L’une d’elles s’appelait le trafic. L’autre le crime. Le village fantaisiste aux parfums de mangue et de guaraná que certains auraient voulu continuer de voir tombait peu à peu le masque. Une grimace apparaissait sur ce faciès tourmenté. Une horrible grimace et une forte odeur de poudre et de sang. Signal évident que la douleur et la mort venaient de s’inviter à sa table pour un bon moment. Aux affres de la faim s’ajoutèrent très vite la peur, la tristesse et la colère. Ceux qui n’avaient rien découvrirent là qu’ils possédaient tout de même encore quelque chose. Que ce quelque chose s’appelait la vie et que ça aussi, on pouvait la leur prendre. La favela souffrait. Elle ne pouvait que souffrir, adossée qu’elle était à tous les malheurs du monde. Mais la favela riait aussi. Elle riait parce que, heureusement, elle était saturée d’enfants et imprégnée d’une jeunesse étincelante. Gorgée de ce futur gesticulant et hilare, elle supportait, un peu, les griffures du crime. Courageusement, cet univers compliqué se cherchait une issue. Lardé de coups de couteau, criblé de balles, suffocant, titubant, ce monde clos par obligation s’ingéniait malgré tout à s’inventer une autre destinée, un avenir différent de celui qu’on lui avait assigné depuis le départ.
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São Paulo semblait toujours ignorer son passé. Si toutefois elle en avait un. Ville pieuvre comme certains la nommaient, surdimensionnée, dépourvue de véritable centre, elle phagocytait chaque année un peu plus de collines, un peu plus de forêts pour étendre toujours plus loin ses limites urbaines. Profondément hétérogène, cette entité sans visage exhibait d’innombrables chantiers avec insolence. Repue de travailleurs venus des quatre coins du Brésil, elle enfantait des centaines de favelas pour essayer de les loger. Agrégats de violences, d’exclusion et de misère, celles-ci s’étaient imaginées éphémères. Elles commencèrent par durer, abritant en leur sein toutes ces existences misérables échouées là dans l’espoir d’une vie meilleure. Elles finirent par s’écrire de façon définitive sur l’État civil de cette ville. Simulacres de quartiers, chaque favela produisait son histoire, faite de désolation et d’espoir. Sur ce terreau étonnant et surtout profondément humain, de la musique se mit à pousser. Stimulée par la vitalité de ses habitants et par l’âme de ce pays, elle jaillissait le jour du carnaval, tonique, radieuse et sensuelle, autorisant pour une fois aux exclus de parader hors de leur cloaque.
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Car la nuit savait qu’ici, un volcan pouvait décider à tout moment de la défier en projetant ses gerbes d’étoiles très haut dans le ciel. Pour l’instant, il se tenait tranquille, laissant les vagues caresser doucement les longues plages de sable blond, plantées de cocotiers et de filaos. Parfois, on entendait un chant. Un chant bleu, ruisselant des ravines, courant le long d’une barrière de corail, imprégnant le chaos des cirques, effleurant le feuillage des arbres. Un chant rouge. Du rouge agressif des vieilles chaînes, de la douleur d’une mère à qui l’on a retiré son fils. Rouge comme le sang des mains noires que l’on clouait parfois sur les portes, jadis. Et ce chant, alors, devenait jaune, poursuivant les bonites jusque dans les profondeurs, accompagnant les dauphins jusqu’au large des lagons, stimulant encore un peu le regard des baleines … ce chant venait de très loin. C’était la respiration des alizés, leur souffle démesuré que les marins apprivoisent, quelquefois, avec leurs guitares pour qu’ils se changent en musique.
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- Et Natália, tu ne m’as pas dit où elle était !
- Parlons-en, de Natália. Tu peux te vanter de lui avoir servi d’exemple, à ta sœur !
- Pourquoi dis-tu ça ?
- Parce qu’elle traîne depuis des semaines avec Gabriel …
- Quoi ? Je lui avais pourtant interdit. Attends qu’elle rentre …
- Qu’est-ce que tu vas lui dire et de quel droit ? Tu n’es pas son père que je sache. Tu n’as que deux ans de plus qu’elle, en plus. Et surtout, tu devrais plutôt te demander comment ça se fait qu’elle est dans la rue au lieu d’être au collège …
Luiz s’assit à la table et la regarda. Malgré cet instant où la colère l’avait saisie, il vit dans ses yeux d’un noir intense toute la tendresse d’une mère. Un instant, il eut envie de lui répondre. Mais les mots ne venaient pas. Ils ne venaient pas car il savait qu’au fond, elle avait raison. En théorie. Elle avait raison à condition d’oublier qu’ils habitaient la plus grande favelas de la plus grande ville du Brésil. Et que pour eux, de ce fait, tout était beaucoup plus compliqué qu’ailleurs.
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Elle redonnait confiance à ceux que la vie malmenait. Comme elle pratiquait depuis très longtemps le candomblé, elle saupoudrait malicieusement ses recommandations de prédictions et d’incantations magiques. Certains l’avaient vu en transe certains soirs, revêtue d’un jupon avec un tissu sur la tête, possédée disaient-ils par les orixás, ces divinités africaines que les esclaves jadis amenèrent avec eux dans les cales des bateaux des négriers jusqu’au Brésil. D’autres, revêtus d’habits rituels, avaient l’habitude de l’entourer tout en frappant sur des tambours des rythmes qui évoquaient des saints. Les offrandes déposées la nuit près d’un arbre, les chants presque imperceptibles psalmodiés par des inconnus, des bouteilles vides remplies de pétales de fleurs, un parfum fruité, l’extase d’une danseuse … elle savait les codes et les portes d’accès vers ce monde envoûtant que cette mystérieuse religion des pauvres évoquait souvent.
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Pour se maîtriser, lorsqu’il ne pouvait pas cogner sur un sac de sable ou sur quelqu’un, il se mettait à chanter. Et la plupart du temps, c’était dans le répertoire de Chico Buarque qu’il choisissait sa balade. Un répertoire qu’il connaissait par cœur, en grand admirateur qu’il était de cet artiste né à Rio. Mário l’écoutait. Dans peu de temps, ce serait une tout autre chanson qui allait se faire entendre ici. Mais en attendant, celui que l’on avait surnommé le Carioca précisément pour ça s’était maintenant mis à murmurer Sinhá, dont il sifflotait par moments la mélodie. Étonnante scène que cet homme, ce métis au visage cabossé et à la peau très noire, armé d’un fusil mitrailleur et d’un poignard, les muscles tendus sous ses vêtements de cuir et qui chantonnait une jolie poésie au goût de mangue, délicieuse comme les lèvres d’une fille.
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