Un rêve du pâtissier
La nuit est encore de la mousse noire. La lune un croissant. Il saute d’un Paris-Brest et arrive sur une immense pâte sablée. De là, il monte sur un rocher, grimpe en haut du far pour s’en payer une tranche. Là-bas, de l’autre côté de l’île flottante, c’est Pithiviers ! De retour dans le quartier Saint-Honoré, il est suivi par deux Napolitains déguisés en religieuses. Qui le prennent pour un financier ! Il court mais c’est pain perdu. Les deux savarins fondent sur son flan, sortent leurs couteaux et lui enfoncent dans sa brioche. En gicle du coulis de fraise… Il se retrouve sur un canapé. Près d’une Charlotte. Comme il n’ose rien lui dire à son oreillette, elle donne sa langue de chat. Comme il se trouve un peu sabayon, il lui écrit je vous aime. Dans le pot de crème. Elle aurait préféré sur mille-feuilles mais bon… Elle s’approche quand même. Ouvre sa bouche. Pour lécher le bâtonnet sucré de son polonais. Tandis que lui, souffle sur l’allumette et… et… « et merde ! Ça sent le cramé !
Anna lève le front. Animalement. Là, il est juste là. Devant elle. Assis à une table de la cafétéria. Si jeune. Il pourrait être son fils. Ou un de ses étudiants. Avec ses cheveux blonds en bataille. Malgré son polaire rouge criard où est écrit le nom d’une société de station-service.
Ce son, cette suite d’accords arpégés, cette mélodie bouche fermée... un chant d’espoir... Anna demeure hagarde. Les yeux immobiles. Les mains figées en l’air. Cette musique. Toute simple. Toute bête. Ça lui ravage son cœur, et ses yeux. Tout remonte à la surface. Son combat. Ses défaites. Ses doutes. Ses possibilités de victoire. De paix. Sofia.
Une larme s’échappe pour s’écrouler sur ses joues. Tout comme l’ordinateur qui glisse de son pantalon treillis pour exploser sur le carrelage.