L'art n'a pas à plaire, mais à agir sur nous.(Et sur ce qui, en nous lui résiste.)
Tu avais 40 ans maman et tu ne pouvais pas voter. Tu as obtenu le droit de vote sur le plan fédéral, tu avais 51 ans.
A 40 ans tu n'avais pas le droit d'avorter légalement.
Tu as obtenu ce libre choix, tu avais 82 ans.
A 40 ans tu n'avais jamais eu droit à un congé maternité.
Quand nous l'avons enfin obtenu le 1er juillet 2005, après un siècle de luttes, tu étais morte depuis un an déjà.
L'enfant n'est pas le plus important de sa vie. Elle préfère son existence d'aventurière où elle découpe la terre chaude de la langue de sa mère. Elle casse, rompt des syntaxes anciennes. Dans sa chambre d'écriture elle a besoin d'inventer, de dévorer un monde. De s'exprimer autrement que dans la fusion du corps à corps avec l'enfant. Mais le silence dont elle a besoin n'habite jamais la maison où il y a l'enfant. La nuit circule il souffle humain et mortel, une fois qu'on quitte des chemins de mots.
Elle se demande si elle va y arriver et tenir : en plus d'avoir donné naissance à l'enfant, il lui est impératif de donner vie à un roman, de concevoir une façon rien qu'à elle d'exister. En plus d'être mère, elle est poète, elle écoute des arbres, reçoit en plein visage le fouet d'un fleuve. De sa main maternelle elle enveloppe et caresse, de sa main de romancière elle tue des enfants.
Comme Marguerite Duras, elle sait très bien qu'on peut aussi ne pas écrire, pourtant l'éblouissement que lui procurer ce métier la comble plus durablement que son enfant. La langue, qui lui a été transmise par sa mère, elle souhaite la défaire, la tordre en des images élastiques de poésie, en s'arrachant à la présence de l'enfant. Au bout de ses doigts et partout sous sa peau, elle tient des rêveries, des corps brûlants, des inventions de haute incandescence.