AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


– Monsieur Alexander, bonjour. Nous ne sommes pas trop en avance ?
– Pas le moins du monde, fit une voix masculine, presque trop jeune. Votre fille est avec vous ? C’est parfait. Donnez-vous la peine d’entrer.
J’avançai dans le sillage de ma mère, foulant le tapis couleur de gazon. Je vis plusieurs sièges disposés autour d’un bureau. Puis ma mère s’effaça pour me présenter.
– Voici ma fille, Monsieur Alexander. Greena. C’est elle.
Il ne devait pas avoir plus de vingt-deux ans et je pouvais me vanter d’avoir de la chance dans la mesure où la population du Centre bénéficie d’une extrême longévité, jusqu’à des cinquante ou soixante ans, cela s’est vu. Et même, bien souvent, ceux qui sont nés sous les coupoles s’en vont mourir ailleurs, c’était le changement de vie, disait volontiers ma mère, ils ne supportaient pas.
Celui-ci était bronzé, vêtu avec soin, pantalon et chemise de coton naturel. Il portait un bracelet en argent dont la plaque rouge confirmait son jeune âge. Tout entier maître de soi et belle apparence, tel était monsieur Alexander, vivante incarnation de l’hygiène bien comprise et de la santé. À croquer de la tête aux pieds. Son regard me scrutait. Je détournai le mien en vitesse.
– Asseyez-vous, je vous en prie.
Ma mère se vit offrir trois doigts de gin en provenance des distilleries du Centre. Il ajouta des glaçons et des tranches de citron. Souriant, il me proposa un milk-shake à la framboise, avec du lait véritable, s’il vous plaît. J’étais trop angoissée pour avoir envie de quoi que ce soit, je ne me sentais pas en état de savourer son milk-shake, mais comment refuser pareil délice ? Cela ne se fait pas, tout simplement.
Enfin, nanties du gin et du milk-shake, nous nous installâmes raidement à l’extrémité de nos sièges. Monsieur Alexander ne buvait pas. Assis face à nous sur le bureau, il balançait une jambe dans le vide. Il prit une cigarette dans le coffret et l’alluma. Il aspira une longue bouffée.
– Tout d’abord, je tiens à vous remercier d’être venues de si loin, dit-il à ma mère sur le ton plaisant d’une conversation mondaine. Un jour d’alerte, de surcroît. En fait, ce n’était pas grand-chose, n’est-ce pas ? Une simple averse.
– Nous sommes arrivées bien avant, répliqua vivement ma mère.
Elle tenait à mettre les points sur les i. La fleur était intacte, aucune goutte de pluie ne l’avait souillée.
– Je sais. Le Parloir m’a renseigné.
Il avait dû se faire communiquer nos coefficients. Au fond, c’était son droit le plus strict. S’il avait l’intention de m’acheter, il voulait s’assurer que son acquisition lui ferait un peu d’usage, quoi de plus normal.
– Permettez-moi de vous dire dès à présent que votre fille semble présenter toutes les qualités requises pour l’emploi auquel nous la destinons. Elle est charmante, pleine de réserve et de correction.
L’allusion à un hypothétique emploi n’est là que pour la frime, pensai-je. Mais peut-être, pour commencer, me demanderait-on vraiment d’effectuer un travail quelconque ?
Ma mère avait dû passer sa petite annonce dès l’automne dernier, tout de suite après que nous fûmes allées rendre visite à ce photographe du Centre. Je portais ma petite culotte de dentelle en nylon et pas grand-chose d’autre. Une photo qui ne cachait rien, comme celle que l’on prend tous les dix ans, à l’occasion du contrôle médical. Toujours, les petites annonces de ce type étaient accompagnées de photos du genre déshabillé. Pratique parfaitement illégale, mais personne n’en avait cure. Trois ans auparavant, au moyen d’un stratagème identique, un garçon qui habitait notre rue s’était trouvé une place dans le Centre. Il avait passé la petite annonce lui-même, il s’était occupé de tout. Joli garçon, il n’avait qu’un défaut, des cheveux déjà clairsemés comme les miens, laissant présager une calvitie précoce. Selon toute apparence, ce détail n’avait gêné personne.
Ma mère avait-elle reçu d’autres réponses ou seulement celle de ce jeune homme hâlé au regard intense ?
Commenter  J’apprécie          00









{* *}