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Citation de taramboyle


Chaque soir, Balthazar s’arrêtait chez sa mère, un brin aigrie et cynique. Elle vivait seule depuis trop longtemps dans une jolie maison de pêcheur multicolore, avec un petit jardin donnant directement sur la mer, dans le vieux village. Ulysse, son vieux chat de gouttière trônait dans la demeure, tel un prince acariâtre, crachant et griffant tout le monde, au gré de ses humeurs. Il exigeait un filet de poisson quotidien et seule sa maîtresse pouvait le caresser.
— Ça va, Maman ? Louise t’a apporté des oursins et j’ai acheté tes magazines.
— Je n’en veux pas, lâcha-t-elle sèchement. Et je te défends de les donner à Ulysse ! L’évier de la cuisine est encore bouché, se plaignit-elle pour la centième fois.
— C’est parce que tu ne vides pas correctement ton assiette dans la poubelle avant de la laver.
— Bien sûr que si ! répondit-elle en s’approchant, traînant les pieds dans ses patinettes comme si elle effectuait du ski de fond.
Alors qu’il dévissait le siphon de l’évier, Ulysse s’approcha de Balthazar, avec son air supérieur, conscient qu’il avait une meilleure place auprès de sa maîtresse que lui.
Des haricots verts, des petits morceaux de papier, et un bout d’os de poulet tombèrent dans la bassine que Balthazar jeta aux toilettes, sans faire de commentaires.
— Tu ne restes pas manger ? demanda la mère, sur un ton de reproche, tout en attrapant un magazine de ragots mondains.
— Non, je n’ai pas très faim, Maman.
— C’est Louise qui t’a encore coupé l’appétit, en te racontant ses histoires de fesses avec tous ses amants. Tu peux reprendre ses oursins. Je n’ai vraiment pas envie de me retrouver aux urgences avec une maladie vénérienne.
— Tu exagères. Louise est une fille généreuse, réfléchie et attentive, même dans les coups durs. Elle pense toujours à toi. Ses oursins ont été péchés ce matin. Elle sert aujourd’hui les mêmes aux clients de son restaurant.
La mère leva les yeux de son magazine, comme pour lui signifier que cela ne la rassurait pas. Elle changea de sujet :
— Tu as vendu quelque chose ?
— Non toujours rien.
— Il faut peut-être penser à changer de voie, avant de boire le bouillon, mon petit. Tout le monde n’est pas fait pour le commerce. Et dire que tu voulais transformer l’annexe de ta galerie en salle de spectacles. Tu as enfin payé ton URSSAF ?
Honteux, Balthazar évita son regard et s’approcha d’Ulysse pour se donner une contenance, mais ce dernier cracha devant sa main avant de se tourner pour lui exposer son gros postérieur.
— Va chercher le carnet de chèques dans le petit bureau à côté de la télévision, lui dit sa mère. Ça ne me dérange pas de payer tes charges, c’est juste ton héritage qui part en fumée en entretenant les feignasses de fonctionnaires. Moi, l’argent, tu sais…
Le fils se sentit misérable de se rabattre sur le trésor de guerre de sa mère. Mais avait-il d’autre choix ?
Sa mère lui signa un chèque en blanc.
— Inscris le montant nécessaire pour te remettre à flot et pose-le sur ton compte, dit-elle après avoir signé le document d’un geste désinvolte. Tu sais bien que ton père avait fait le nécessaire… Et puis je n’aime pas te voir ainsi. Tu es comme moi, tu n’as jamais su être pauvre.
Le fils plia soigneusement le gage de sa liberté retrouvée et le rangea méticuleusement dans son portefeuille. Puis il embrassa le front de sa bienfaitrice et repartit chez lui à pied en profitant du léger vent du soir qui rafraîchissait l’atmosphère en faisant glisser nonchalamment les nuages bas et nombreux.
Balthazar habitait dans un petit pavillon construit sur le toit d’un immeuble offrant une vue imprenable sur la mer. Il disposait d’une grande terrasse avec de très nombreuses plantes, fleurs, arbustes et même un olivier qui trônait au coin, tel un trophée érigé vers le ciel. Pour couronner le tout, aucun vis-à-vis ne nuisait à son intimité.
Souvent le soir, il prenait une douche, avant de lire nu, sur une chaise longue, à l’abri des regards, loin du tumulte de la ville, entouré de ses innombrables plantations où chantaient les cigales.
Il cherchait justement un peu de littérature pour accaparer ses pensées dans ses piles d’ouvrages. Il venait de terminer « Les Amours contre nature », car il ne vivait plus ses histoires d’amour qu’à travers les livres. Et c’est à ce moment qu’il tomba sur un vieil album de photos, sur la couverture de laquelle figurait Marcus, torse nu, posant avec son sourire ravageur qui charmait toujours son entourage.
Il en tourna aussitôt les pages avec une nostalgie et une tristesse qui l’accompagnaient depuis trop longtemps.
Son ex était un bel homme brun au teint mat, avec un corps musclé et velu. Il avait longtemps travaillé comme steward pour Air France. Ses déplacements incessants avaient eu raison de sa fidélité. Après de larmoyants regrets suivis d’excuses sincères, le Don Juan avait recommencé quelque temps plus tard. Puis ses écarts exceptionnels s’étaient transformés en vie cachée, pour finir en raison de vivre. C’est au cours de ces soirées festives, à tenter de tromper sa solitude, qu’il avait goûté aux plaisirs dangereux des paradis artificiels qui transforment tout en poudre, ou en poussière. C’est cette seconde option qui avait achevé prématurément son destin si prometteur.
En rentrant d’un week-end parisien, Balthazar avait retrouvé le corps froid de son amant étendu sur une descente de lit, à la fois désemparé, choqué et traumatisé, par toutes ces révélations successives. Les tromperies, les drogues, la mort, l’abandon, l’absence, le deuil interminable.
Pendant quelques semaines, Balthazar n’avait survécu que grâce à des antidépresseurs qui l’empêchaient de ressentir le moindre sentiment.
Sa vie à lui était devenue d’une platitude magistrale. Mais il valait mieux supporter l’ennui que de tenter d’affronter l’impensable vérité qui le rendait responsable de cette tragédie.
Balthazar referma l’album d’un claquement sec et le rangea avec la sensation que cette torture mentale n’avait que trop duré.
Nu, avec son verre de vin à la main, il traversa le salon, puis la terrasse pour s’accouder à la rambarde entourant la propriété.
Il contempla songeusement la nuit au ciel monochrome en écoutant chanter les cigales. Au loin, des nuages s’écartèrent soudain au-dessus de la mer pour laisser la pleine lune irradier les vagues, comme pour lui promettre un nouvel espoir.
Le moment était peut-être venu de laisser ce passé si lourd derrière lui et d’essayer d’apprendre à découvrir une nouvelle façon de vivre.
Balthazar ignorait sans doute que le destin aime s’amuser avec les habitudes des gens tranquilles, qui se plaisent à accepter leur sort. Il allait bientôt se retrouver sur le devant de la scène et défrayer la chronique, de la façon la plus inattendue.
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