A priori ce livre n'avait rien pour me plaire, je n'ai pas beaucoup d'appétence pour la littérature scarifiée par la douleur, trop souvent la souffrance immobilise. Elle vous saisit, vous accable et vous enferme dans une dilatation de la psyché jusqu'à étouffement pour la lectrice que je suis.
Or, ici c'est un récit vivant que propose Tatiana Salem Levy. L'auteure brésilienne parvient à maintenir le récit hors des sentiers redoutés en brouillant les temporalités, mêlant blessures et ressources, saccages traumatiques et perspectives, permettant à l'occasion de découvrir les visages cachés du Brésil.
Avec Vista Chinesa, les déflagrations intimes d'une femme qui doit surmonter l'épreuve d'un viol et reconquérir l'estime de soi sont singulièrement dépeintes. Principalement parce que s'y entremêlent l'audace de la romancière et le témoignage de son amie victime, de cette association est née une fiction capable d'exprimer ce que l'une aurait immanquablement tu et ce que l'autre n'aurait pas osé explorer.
On retrouve fatalement la stupeur, le refoulement, les détails anecdotiques, le sentiment de culpabilité, la « tension entre un corps qui ne [lui] appartenait plus et ce corps qui ne {lui] avait jamais autant appartenu » dans une première partie qui passe sous silence le viol si ce n'est à travers l'enquête policière. Avant de voir le récit basculer dans des phrases gorgées de détails explosifs pour raconter tout ce qui demeure une fois que la conscience accepte d'explorer ce qui s'est passé : la réalité crue de l’agression, les traumatismes indicibles, la reprise de la sexualité, la rassurante folie des recours secrets. Les images s'entrechoquent, transpercent les yeux, indisposent faisant de nous des voyeurs un peu malmenés.
Car la narratrice remet au lecteur et à la lectrice son intimité la plus secrète, la plus fragile, la plus bestiale aussi, et ce sont tous ces antagonismes qui font la force de ce roman.
Court, intense avec une violence inouïe qui nous explose progressivement en pleine figure...ce roman désarçonne.
Lecture un peu éprouvante.
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Onze auteurs brésiliens,dont la plupart des grands noms de la littérature contemporaine,s'inspirent du foot pour écrire ces onze récits,en faites douze avec une prolongation de Tatiana Salem Levy.
Ces douze nouvelles,à travers le foot,vont bien au-delà de la question sportive.Le football parle de la société,de l'intégration raciale,de la violence urbaine,mais aussi d'amour,d'éthique,d'amitié ,de joie et de tristesse.Le foot c'est aussi un tremplin économique pour une grande partie de la population brésilienne ,qui voit les stars du ballon comme une sorte d'eldorado.L'identification avec le pays et la nationalité passe par là.
Sans être une fana de foot,j'aime regarder des bons matchs de temps en temps avec les hommes de ma famille,mais nul besoin d'être expert sur le sujet pour lire et apprécier ces merveilleuses nouvelles!
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Julia est architecte dans le cabinet retenu pour construire le village olympique de Rio de Janeiro. Souvent, pour relâcher la pression, elle part courir à Alto da Boa Vista Chinesa, une enclave de la forêt tropicale au milieu de la ville. Un jour, alors qu'elle effectue son jogging sur son parcours habituel, un homme braque une arme sur sa tête, l'entraîne dans la forêt et la viole. Commence alors le long chemin de reconstruction de Julia, entre dégoût, culpabilité et colère, face à une police quasi impuissante et une famille qui ne sait comment agir. « Six mois s'étaient écoulés et le mal-être persistait. Le temps n'amenuisait pas la douleur, omniprésente au réveil, quand la lumière s'insinuait entre les persiennes et que le chant des oiseaux virevoltait dans la ramure des arbres. » (p. 63)
Sous forme de flash, l'indicible prend forme avec des mots crus, parce que la poésie n'est pas de mise face à cette horreur. Pour autant, le texte déborde d'une qualité littéraire indéniable. Nous sommes dans la tête de Julia, au cœur de sa douleur et de sa sidération. Aucune femme ne peut manquer de comprendre ce qui dévore la protagoniste. Et là où le texte prend toute sa puissance, c'est quand on sait que l'autrice a en réalité raconté la traumatique expérience d'une amie. Voilà un livre nécessaire, indispensable, fondamental pour parler du viol. La lecture peut être rude, mais elle est salutaire.
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J’ai reçu un appel du responsable des éditions Folies d’Encre qui par l’intermédiaire de Babelio me proposait ce livre, il fallait avoir choisi à la précédente masse critique Ghetto Park chez le même éditeur. Il m’a prévenue que c’était tiré d’un fait réel et que le livre pouvait être cru, mais comment parler autrement d’un viol ? Car c’est de cette abjection dont il est question.
En 2016 les jeux olympiques doivent se dérouler à Rio. Le cabinet d’architecture dans lequel travaille Julia doit participer au projet. Elle est adepte du jogging dans la forêt qui se trouve au centre de la ville, elle court toujours seule. Un midi elle est entraînée sous la menace d’une arme hors du sentier et violée.
Lorsqu’elle ressort de cette forêt, elle se répète qu’elle est vivante, mais ce n’est pas si simple. Elle voudrait oublier, aller de l’avant mais ne peut pas, entre culpabilité, refus de porter plainte et poids du chagrin infligé à sa famille, elle ne sait plus où elle en est. “Mais tu dois porter plainte pour les autres femmes, pour qu’il ne recommence pas”. Julie se souvient qu'il portait des gants, mais la couleur, la texture et le pistolet, quel modèle ? Comme si dans le maelstrom des sensations et sentiments pendant le viol elle avait pu organiser sa pensée, enregistrer les faits.
Le temps passe, des jumeaux naissent mais rien n’efface ce traumatisme.
Un livre nécessaire pour comprendre ce que signifie pour une femme, un viol.
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Le roman de Tatiana Salem Levy est mystérieux et difficile à saisir. La forme narrative est libre et polyphonique. Il y a les souvenirs de la narratrice brésilienne qui s'adresse parfois à sa mère défunte, nous raconte son voyage sur les traces de sa famille d'origine juive et turque, ou se remémore certains moments intimes avec un ancien amant. L'autre voix est celle de la mère, et enfin le récit des aventures de son grand-père. La clef de Smyrne est un récit sur l'exil d'une famille entre Turquie, Portugal, Brésil et Costa-Rica. La douleur de quitter une terre, ceux que l'on laisse derrière soit, et les nouveaux départs possibles.
La narration est déroutante au début. Il faut plusieurs pages pour comprendre à qui appartiennent chacune des voix, d'autant plus que les chapitres sont de longueurs très variées. C'est rythmé mais un peu déstabilisant. Malgré cela il se dégage de ce roman une atmosphère sensuelle et mélancolique. L'auteur, d'après ce que j'ai lu sur des sites brésiliens, a présenté ce roman comme thèse, ce qui est une liberté académique assez étonnante. On peut donc supposer qu'il y a beaucoup de théorie derrière ce récit, et qu'il est difficile pour un lecteur lambda d'en saisir toute l'importance. On réussit tout de même à ressentir l'idée du souvenir éclaté, ses propres souvenirs, mais aussi ceux de ses ancêtres, que l'on nous offre en héritage ou qu'il faut retrouver par ses propres moyens.
La langue est belle, poétique mais aussi crue dans certains passages érotiques. Je ne saurais vraiment dire si j'ai aimé ou non tellement d'inconnues ont jalonné ma lecture mais c'est un roman très intéressant et dont on conserve davantage l'idée d'une ambiance qu'une histoire linéaire qui n'est pas là de toute façon.
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Le thème de ce livre est certainement un des plus terribles qui puisse exister : le viol. L'autrice a recueilli avec passion, bienveillance, écoute, le témoignage d'une de ses amies qui a subi cette horrible atteinte à son être et nous restitue l'expérience de cette dernière au plus près du réel et de la sincérité.
Julia est une jeune femme active dans un Rio de Janeiro conquérant à la veille des J.O. De 2014. Pour une fois, elle change un tout petit peu ses habitudes : au lieu de faire son jogging le matin, elle le fait l'après-midi. Ce jogging tourne au drame : un pistolet sur la tempe, elle ne peut que subir l'indicible.
L'indicible ? Non ! Après avoir été incapable partager son histoire au-delà d'un cercle très restreint, l'amie se décide, près de quatre années plus tard, à la lui livrer, intégralement, dans le détail, sans fards. Les blessures sont encore béantes, quatre années plus tard ; elles saignent toujours et ont besoin de reparaître au grand jour.
Tatiana Salem Levy en a fait un récit. Un récit documentaire mais plus que cela : c'est aussi le récit d'une société, de son rapport au mal, au viol des femmes. Le récit d'une souffrance et d'une reconstruction. D'une réparation plutôt, car on ne peut repartir à zéro, les cicatrices sont toujours là.
Récit oppressant, au rythme trépidant, qui nous entraine parfois plus vite qu'on le souhaiterait, nous noie souvent sous des détails qui nous paraissent anodins mais très certainement centraux, décisifs pour notre Julia.
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j'ai reçu ce livre directement par l'éditeur, Todavia, qui m'avait contacté (suite participation masse critique Babelio). Je n'ai pas su le livre, J'ai pourtant persisté. Mais trop lent, trop répétitif à mes yeux. Bref, j'ai abandonné, dommage sans doute (le livre est beau). mais je pars du principe que rien ne sert de s'entêter à lire si ça ne plait pas. Au même titre que je ne porterai pas un vêtement qui ne me convient pas. J'espère lire une ou des critiques qui me permettront de le percevoir autrement
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L'éditeur des Folies d'encre m'a contactée et proposé un nouveau livre à lire et à commenter, tout en me prévenant qu'il s'agissait du récit d'un viol au Brésil. Ce n'est pas un type de lecture que j'affectionne particulièrement, ou plutôt j'appréhende du fond de mes tripes ce genre de livre. Cependant j'ai accepté et ne l'ai regretté à aucun moment.
Contrairement à son habitude, elle est du matin !Julia, jeune architecte de 30 ans, active et sportive, part faire son jogging à la vista chinesa un après midi juste avant les Jeux Olympiques de Rio.
Et là, sa vie bascule quand un individu ganté et armé l’entraîne dans les bois et lui fait subir, viols, tortures, sévices.
Le livre est l'histoire vraie d'une de ses amies proches, dans un déroulé assez semblable à ce que la victime a raconté :
le viol lui même revient par flashs, lors de séances chez la psy ou à des moments particulièrement émotionnels de sa vie, car la jeune femme se tait, ne raconte pas, n'arrive pas à reconnaître son bourreau parmi les suspects présentés régulièrement par la police.
La police justement , parlons en, menés par une femme, elle semble bien prendre les choses en mains mais devant le mutisme qui dure, lâche un peu l'affaire et s'en désintéresse malgré d'autres viols dans le même coin.
Les proches sont assez présents et aident de leur mieux : le compagnon tente de la sortir de son mutisme et l’entraîne vers des lieux reposants, ne brusque rien, l’épouse et des jumeaux naissent.
C'est cette naissance qui incite la victime à se prendre en mains et à essayer de dire, enfin, ce qui s'est passé ! Elle écrit une lettre à ses enfants pour qu'ils sachent et comprennent leur mère et ses angoisses.
La majeure partie du roman se passe dans la tête de la jeune femme, ses hésitations, ses décisions, son ressenti, les changements que son viol a occasionnés dans son corps, la vision qu'elle a de son corps .
Je suis vivante, répète t-elle ! Survivante ? Supervivante ?
Franchement c'est un livre inoubliable, éclaté comme elle ! Précis et confus à la fois, comme dans sa tête ! Bouleversant car seule une femme peut écrire ce livre pour quelqu'un d'autre .
L'autrice a joué de tout ce qui est en son pouvoir littéraire pour faire passer le message de cette horreur, paragraphes courts, longs, le viol, les naissances, tout dans le désordre, une soirée peyotl et hallucinations, elle nous secoue et nous met en miettes, comme Julia.
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Je lis les avis mitigés des autres lecteurs et la difficulté de situer les différentes parties polyphoniques et temporelles de ce livre. Et je crois que c'est ce qui m'a le plus plu justement. Nous sommes dans l'état d'esprit de la narratrice dont les pensées sont confuses entre le décès de sa mère et sa rupture amoureuse très douloureuse. Le retour aux racines familiales semble un chemin de reconstruction mais aussi d'introspection.
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L'Equipe Magazine : "Un recueil électrique, cinglant, tout à fait réjouissant. A l'image de la nouvelle, L'importance relative des choses, où l'on comprend à quel point le football peut s'immiscer dans les têtes et dans les vies. Jusqu'au divorce."
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