Citations de Thierry Poyet (22)
Pourquoi les pauvres poussent-ils un chariot quand les riches vont au cinéma, au musée ou font du sport ? les occupations du samedi trahissent un niveau de vie et de culture.
Des bombes larguées de trop haut, qui n'atteignent pas leurs cibles, mais s'écrasent un peu plus loin, n'importe où, ou plutôt juste là où elles n'auraient jamais dû tomber, martyrisent Saint-Etienne et ses habitants.
De toute manière, il leur fallait à tous deux se rendre à la raison. Le bonheur ne naît jamais de la rencontre de deux malheurs.
pourtant il n'y avait pas plus stéphanois que lui. son caractère était stéphanois, ses qualités, son courage et son abnégation, sa fierté et son envie de réussir, en toute honnêteté, avec le sens de la solidarité face à ses collègues, et puis cette capacité à se dépasser, à donner plus qu'on ne possède. C'était ça, Saint-Etienne, la grandeur d'âme de l'ouvrier, un pays de générosité et d'altruisme.
Et puis, il faut bien le dire, au milieu de toutes les raisons sociales et économiques qu'on opposait au pouvoir, la motivation d'un grand nombre de Gilets Jaunes tenait aussi à une forme de lassitude plus vague et plus profonde devant la vie qu'il fallait mener quand on est pas bien nés.
Longtemps j'ai tâché d'apprendre à mes élèves l'esprit critique, la faculté de tout interroger et de ne jamais rien prendre pour argent comptant. Et puis j'ai fini pas baisser les bras. Ils me reprochaient justement de tout discuter, de les obliger à douter de tout alors qu'ils ne recherchaient que des certitudes, des choses vérifiées et confirmées qu'ils n'auront plus qu'à apprendre et à régurgiter sans réfléchir en petits singes faussement savants.
Il y a des gens avec qui l'on passe une grande partie de sa vie et qui ne vous apportent rien. Qui ne vous éclairent pas, ne vous nourrissent pas, ne vous donnent pas d'élan. Encore heureux quand ils ne vous détruisent pas à petit feu en se suspendant à vos basques et en vous suçant le sang. Et puis il y a ceux que l'on croise, que l'on connaît à peine, qui vous disent un mot, vous accordent une minute, une demi-heure et change le cours de votre vie.
L'avenir ne faisait plus rêver personne, chacun s'inquiétait pour ses enfants, pour sa retraite bien sûr, mais surtout les gens ne ressentaient plus l'envie de se lever le matin. la terrible certitude de n'avoir rien à attendre du lendemain.
Oui, mais, avec ton Müller, on se retourne sur quoi ? Et pourquoi lui offrir son heure de gloire, à ton type ? Qu’est-ce qu’il représente, tu peux me le dire ? Un prisonnier de guerre allemand qui refuse de rentrer dans son pays, une fois libéré, mais pourquoi ? Tu le sais, toi ? Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Qu’est-ce qui le pousse à rester en France ? Franchement, tu crois que la France en voulait des gens comme lui ?
— En tout cas, Michelin l’a embauché !
— Tu parles ! Simple besoin de main d’œuvre !
— Donc, la France avait besoin de lui ! Comme des Portugais que Michelin va faire venir…
— Ou les Espagnols ! Hein, c’est cela ? Tu vois, ton reportage me gêne précisément pour cette raison : il égalise tout. Tous les cas finissent par se valoir, le Républicain qui tourne le dos à l’Espagne franquiste et le soldat allemand qui refuse de rentrer dans son pays dénazifié ! Franchement, tu montres un sens de l’Histoire qui ne me plaît pas !
Et puis, tout le monde le savait maintenant, le mieux en temps de guerre, c'est de faire semblant de rien, à continuer à vivre comme si de rien n'était, la guerre s'arrêterait quand elle le voudrait, voilà tout ! Etre fataliste, rien de meilleur pour arriver à vivre, ou à survivre !
Et Brigitte cria contre le père, et à son tour il haussa le ton. Il prit conscience que son autorité avait perdu son efficacité, qu'il ne lui ferait plus jamais peur, ne lui dicterait plus ses actes désormais. il se découvrit incapable de plus rien lui imposer. Elle avait muri. Sa petite fille avait bien grandi. A présent, le ceinturon pouvait rester sur son pantalon, il ne servirait à rien.
le joli livre de Thierry Poyet, chronique familiale relatant le parcours professionnel et les amours d’une jeune fille qu’Albert Camus aurait pu croiser en effet, puisque l’on sait qu’il effectua un séjour à Saint-Étienne.
Je n'ai vécu qu'avec moi-même – et mes deux filles... mais c'est une relation sans comparaison, forcément – et là je découvre le besoin urgent, oppressant de vivre avec toi.
Ton corps et ta pudeur, ta douceur et tes gestes, tes sourires et tes caresses m'offrent un autre monde. Tu es une rupture dans ma vie, une métamorphose, une promesse surtout. Tu me rends ma jeunesse non pas par ton âge mais parce que tu m'offres de vivre ce que j'attendais à dix-huit ans, et qui n'est jamais venu avant toi. Tu m'offres de recommencer là où tout s'est arrêté, dans ces années où l'amour rêvé n'a pas su advenir en réalité. Il m'a fallu trente années pour faire un premier pas... et encore tu avais largement entrouvert la porte.
Merci.
Je t'aime pour ce que tu es et tu seras, pour ce "nous" que tu rends possible, pour ce "moi" que tu changes dès que je te vois ou t'écris.
Lui, il a tout renversé, tout proposé, tout prétendu construire. Trop vite. Quand il s’en est rendu compte, quand il a réclamé une pause pour sauver notre amour, moi, trop usée en mon âme abîmée, j’ai décidé de rompre. Persuadée de ne pas abattre Laurent, le chêne devenu roseau à m’avoir aimée. Je n’avais rien compris.
Je sentais Laurent si éperdument amoureux de moi que je n’ai jamais conçu la crainte de ne pas profiter, et pour longtemps, de ce qu’il comptait m’apporter. Il m’a tant promis dès le premier jour. Ce qui m’a effrayée, jusqu’à me priver de sommeil et me faire pleurer chaque nuit, c’est de redouter de le perdre à trop m’angoisser. Et puis, je différais trop ce « oui » à la vie commune. Il me l’avait réclamée d’emblée. Très vite, Laurent a fini par m'apparaître plus juvénile que moi. Plus jeune d'âme. Plus pressé et plus insatiable. Plus absolu. Plus ravagé par la passion. Il a incarné la folie de l’amour. Il a laissé s’installer en lui une soif inextinguible de rupture totale avec son passé, compensée par la certitude de tant de possibles avec moi.
Sur le cliché, on distingue mal sa mère qui le regarde, stupéfaite. L’enfant aura jeté un mot, un seul, distinctement articulé, pour une fois compréhensible. Elle l’a entendu. Elle n’a pas pu se tromper. La confusion est impossible. Il a crié « papa ». Elle le répétera souvent à Georges. L’homme au véhicule bleu n’est pas son père. Juste un voisin sympathique et souriant, jovial. C’est gênant. Et s’il avait entendu l’enfant ? Qu’est-ce que viendraient dire les commères ? L’enfant ne reconnaît donc pas son propre père. Il le prend pour un autre. Il dirait « papa » à n’importe qui. S’il suffit qu’un homme lui sourie ou s’intéresse à lui, même à coups de klaxon
Un jour, pourtant, le besoin devient trop pressant et trop violent. Insoutenable. Il faut parler. À l’épouse qui semble disposée à l’écoute, avec une attention bienveillante après l’amour, la tête posée sur un torse musclé, la main parcourant encore une intimité à la blondeur qui se fane ; ou à la mère sur son lit d’agonie juste avant sa mort quand elle pourra emporter avec elle les secrets d’une vie salie, et pardonner parce que le temps ne lui est plus accordé de juger celui que son enfant est devenu ; ou, plus tard encore, au fils que la vie n’aura jamais donné et auquel on aurait confié, la voix hésitante, les aléas d’une existence qui a filé mystérieuse et inconsistante. Grave aussi, presque tragique.
Sa vie, c’étaient quelques lieux associés à des dates, qui avaient marqué à jamais son destin. Hambourg 22, Clermont 48, Paris 54, Chamalières 99. Des étapes dans une existence, comme les couplets d’une vie mal chantée, fredonnée trop longtemps sur le même air. La mélodie avait manqué d’harmonie, jugeait-il avec le recul du grand âge, le soliste n’avait pas toujours bien joué sa partition et surtout il s’était trop mal entouré. Il n’avait pas su former l’orchestre de sa vie, encore moins celui de son bonheur. Il n’en ressentait pas de regrets, c’était un fait qu’il convenait de constater, sans plus. Avec le temps, le pianiste avait fini par connaître les limites définitives de son doigté devenu de plus en plus maladroit. Il y avait tant de compositions qu’il n’avait jamais jouées, ou trop faux. Tristement faux.
Isaac n’avait pas peur de mourir. La mort signifiait juste la fin d’une vie morose et sans relief. Il y avait longtemps qu’elle lui était devenue indifférente. D’ailleurs, elle ne lui avait jamais apporté de satisfaction. Il n’en attendait plus rien. Il n’avait pas peur, non plus, de la douleur physique au moment de rendre l’âme : sa mère, ses sœurs et même son épouse avaient dû souffrir elles aussi, sans se plaindre et sans que personne ne les entende. Alors il devrait se montrer courageux.
Non, sa peur ne se nourrissait que de ses regrets. Il avait trop attendu. Il avait trop longtemps vécu pour rien. Comment avait-il osé ?