— Ma mère, dit Carsten. Que puis-je ajouter que le prêtre n’ait pas déjà dit ? Elle faisait confiance aux gens. Elle me faisait confiance, même quand je lui mentais. Ce qui arrivait parfois. Et elle avait confiance dans les gens avec lesquels elle travaillait au Centre. Elle me disait toujours qu’elle pouvait compter sur son équipe.
Il relève la tête et avance d’un pas vers le chœur, l’enfant réprimandé reprenant déjà de l’assurance. Il balaie du regard le groupe devant lui, et sourit.
— C’est drôle. Peut-être devrais-je dire ironique. Depuis ma petite enfance, elle a toujours voulu que je fasse plus attention à mes fréquentations. Genre, elle m’incitait à fréquenter des gens du Centre. Mais moi, je voulais m’amuser, pas passer mes soirées à parler de Søren Kierkegaard ! Elle était sûre que je finirais par me faire tuer. Et regardez ce qui lui est arrivé, à elle.
Une foule s’est assemblée devant l’église Notre-Dame. Certains se tiennent sous le porche, entre les colonnes romanes, d’autres se massent sur les marches ou le trottoir. La plupart portent des pardessus, des chapeaux et des gants de couleur sombre – tout aussi appropriés à la cérémonie à laquelle ils s’apprêtent à assister qu’au temps humide et froid de cette matinée de mi-janvier. À les voir là-bas, de l’autre côté de la rue, j’estime qu’ils sont une centaine à être venus aux funérailles de Mette Rasmussen. Comme moi, ils attendent que les portes s’ouvrent pour laisser entrer famille et amis. Le cercueil est déjà dans l’église – je le sais parce que la coutume veut que tous défilent devant, et aussi parce que je suis l’un des six qui l’y ont porté il y a environ une heure.
Il y aura un marchand de journaux sur ma route en rentrant chez moi et, quand je retournerai au travail demain, tout le monde discutera de ce qui est vraiment arrivé à notre ancienne directrice, d’où peut bien se trouver le manuscrit et de ce nous tous sommes censés faire à ce sujet.
— Elle s’est fait tuer, dit-il d’une voix neutre. Assassiner.