Au lieu de se reprendre en main ou de faire quelque chose d’utile, il avait erré dans les rues de son quartier et rapidement perdu rythme et contrôle. Ses jambes lui semblaient plus légères que d’habitude et il accélérait le pas sans le remarquer. Bientôt il finit par arpenter la moitié de la ville et perdit un peu de son poids superflu, ce qui était une sensation agréable. Il commençait à boire dès le matin pour que l’ivresse ne retombe pas et au fil de la journée, il passait à des boissons de plus en plus fortes pour atteindre un nouvel état d’ébriété. En même temps, il se sentait plus lucide que jamais, tout lui semblait étalé au grand jour, les erreurs des années précédentes, son éternelle inertie, l’imposture de sa vie. Il voyait ça comme une césure, il parlait à des personnes totalement étrangères jusqu’à tard dans la nuit, finissait au pieu avec des femmes qu’il n’aurait jamais daigné regarder autrefois et brûlait de la graisse et des cellules grises à fond la caisse.
Ce n’est pas une vie perdue, se dit-elle, et pourquoi le serait-elle. Ce n’est qu’une question de point de vue ; il est bon comme ça et doit le rester. Prends-toi la vie. Oups, ce n’est pas ce qu’elle voulait dire, ça la fait presque rire. Prends-toi la vie que tu veux, sers-toi. Elle empile les pains dans les étagères et elle est tout simplement reconnaissante, reconnaissante pour ce boulot et le supermarché, pour sa fille, pour les amphètes, pour les pains, les fruits et même pour ces lumières artificielles qui éclairent tous les recoins sans faire aucune ombre.
La pizza était bonne, le jus était bon et les chocolats aussi. Sauf qu’après avoir mangé, Anton a l’impression que c’est comme quand il fait l’amour : d’abord c’est un besoin urgent mais, une fois la faim assouvie, on se demande si c’était vraiment nécessaire.
Lorsque, sur la dernière ligne droite, Stanley se dirige vers elle, Denise se demande si c’est possible qu’il veuille juste frimer. Mais pour impressionner qui ? Elle ? Veut-il l’épater précisément elle avec le champagne, la pizza du mec qui se la pète, garnie de crevettes, et les biscuits asiatiques au poisson ? Il charge le tapis avec un large sourire et, comme il est le seul client à la caisse, il prend tout son temps.
L'ombre ne se dissipe pas si facilement. Là où on diagnostiquerait une légère dépression à quelqu'un d'autre, pour moi, avec les circonstances et les déformations qui sont les miennes, on peut parler d'un état d'esprit stable. D'autres iraient à l'hôpital, moi je vais au cinéma.Je me contente de peu, je veux seulement pouvoir continuer.
[point de vue de caissière]
Spaghettis, spaghettis, concentré de tomates, bière et nourriture pour chat. Elle ne voit plus défiler les images des appartements et des réfrigérateurs, c’est plutôt comme l’attribution d’une note, une estimation rapide du niveau de vie, ce qui en principe est interdit.
Anton avait-il était trop idéaliste ou simplement trop lâche pour faire une véritable carrière ?