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Citation de KrisPy


- Monsieur Barrett ?
- Oui.
Sa voix est plus grave que dans tous les enregistrements, il a encore plus l'accent cockney dans les interviews télévisées de 1967. Derrière lui, le hall est propre mais vide, le parquet essentiellement recouvert d'un linoléum. J'évoque quelqu'un de son enfance qui lui est cher. Cette personne doit venir à Cambridge dans quelques semaines et se demande si Barrett aimerait qu'elle passe le voir.
- Non.
Il reste là, debout, me regardant fixement, moins gêné que moi par l'image qu'il donne de lui en caleçon.
- Alors, tout va bien ?
- Oui.
- Vous peignez toujours ?
- Non, je ne fais rien, dit-il (ce qui est exact puisqu'il est en train de me parler). Je m'occupe juste de cet endroit, pour le moment.
- Pour le moment ? Vous songez partir ?
- Je ne vais tout de même par rester ici toute ma vie/
Il s'interrompt une fraction de seconde, lâche avec désinvolture un "Bye-bye" auquel je ne m'attendais pas, et claque la porte.
Me voilà seul, comme tant d'autres avant moi, essayant de reconsidérer ce qu'il a voulu dire . "Je ne vais tout de même pas rester ici toute ma vie." Veut-il dire : "Un jour, il faudra bien que je quitte cette maison" ? Ou bien est-ce une allusion au sort qui nous attend tous ? Un message codé selon lequel il pourrait revenir au monde - et nous montrer, peut-être de nouvelles oeuvres ? Le fait qu'il m'ait ouvert la porte en caleçon révèle -t-il une forme d'assurance naturelle, d'excentricité, ou pire ? Je reviens sur mes pas, traverse la rue principale jusqu'à ma voiture et rédige un mot que j'espérais délicat : "Cher Monsieur Barrett - Je suis désolé d'avoir interrompu votre bain de soleil. Je n'ai pas eu le temps de préciser que je suis en train d'écrire un livre sur vous... " Je plaide ma cause, donne mon numéro de téléphone et retourne vers l'allée cimentée.
Comme j'atteignais le portail, je le vis agenouillé, occupé à arracher les mauvaises herbes dans un angle du jardin, près de la nouvelle clôture. Cette fois-ci, je remarquai une souche soigneusement entretenue, dernier vestige, sans doute, de l'arbre mentionné par les journalistes d'Actuel.
- Hello, lui dis-je, je viens de vous écrire un petit mot.
- Hum, lâcha-t-il en continuant de jeter des racines derrière lui sans lever les yeux.
- Puis-je le laisser ?
Il me fixa droit dans les yeux, mais ne répondit pas. Il portait à présent un short kaki et des gants de jardinage avec lesquels il risquait d'avoir du mal à prendre mon message - aussi fus-jet tenté de le poser sur sa brouette.
- Dois-je le mettre dans la boîte aux lettres ?
- ça ne me concerne pas, dit-il.
Alors je m'exécutai.
- Bonne journée, dis-je en repartant. Au revoir.
Il ne répondit pas, et je n'ai toujours pas de réponse à ce jour.


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