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Citation de MegGomar


Elle est arménienne et tout ce qui est arménien procède du tragique, du schisme culturel avec ma mère, et de l'imprononçable (bien avant que j'appréhende l'indicible) d'une langue dont l'alphabet, inventé par un moine sadique du Ve siècle, décline pas moins de quatre façons rouler les r, deux manières de dire le d, le p et le q.
Ma grand-mère est une "rescapée du génocide". Ces trois mots la définissent, la contiennent et l'isolent du reste de l'espèce. Son drame se confond avec elle : c'est une identité et une fin en soi. À mes camarades j'explique d'un ton grave que ma grand-mère "a perdu toute sa famille, massacrée par les Turcs, alors qu'elle était très jeune, c'était horrible, elle a beaucoup souffert."
Je ne sais rien d'autre. À l'image de son corps massif, son passé est une citadelle imprenable. Oser lui demander des détails me semble inimaginable et cruel.
La faire parler est d'autant plus voué à l'échec que, hormis la pesanteur du tabou, nous ne nous comprenons pas. Jusqu'à la fin de sa vie, ma grand-mère ne parlera qu'arménien, et les quelques mots qu'elle prononce en français tiennent de la survie élémentaire (acheter du pain, récupérer sa pension de retraitée à la poste) ou du désir d'entrer en relation avec ses petits-enfants dans un puzzle franco-arménien abrégé que nous sommes très peu à comprendre.
Pas de livres d'enfants lus avant de s'endormir, pas d'échanges anodins sur sa santé ou le temps qu'il fait. Pas de "C'était comment quand tu étais petite fille?"
Mon apprentissage de l'arménien n'ayant donné de résultats convaincants qu'à l'adolescence, notre relation va se nourrir non par les mots, mais par la bouche. Ma grand-mère investit mon palais.
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