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Citation de Charybde2


La voix triomphante d’un membre de l’équipe jaune s’éleva :
– Les investissements ont augmenté, lança-t-il en parlant si vite qu’il en mangeait ses mots. L’emploi aussi.
Weiner, qui portait le bandeau de l’Union, s’exclama avec fougue :
– Trop de demande ! L’inflation augmente !
Felix s’unit avec enthousiasme au chœur, en tapant du pied. Mais la voix excitée d’un garçon au front ceint de noir brisa l’euphorie.
– La monnaie jaune perd du terrain. Vendez de la monnaie jaune, vite.
Allsop, assis près du chef de groupe des jaunes, se tourna vers ses camarades, le visage humide de sueur.
– Dévaluation ! Dévaluation tout de suite !
Weiner tapa du poing sur son pupitre.
– Danger ! Exportations noires à la baisse ! Exportations jaunes en hausse !
Les yeux de Felix tombèrent sur une donnée qu’il n’avait pas remarquée jusque là et qui semblait avoir échappé à ses coéquipiers.
– Danger ! cria-t-il à son tour, en essayant de parler le plus vite possible. Exportations rouges à la baisse !
Des bancs des jaunes s’éleva un chœur de hurlements triomphants, mais qui dura peu. Un étudiant, au bandeau noir de l’Union, bondit sur ses pieds, excité. Il leva la main d’un air accusateur, sans détacher son regard de l’ordinateur.
– Consommation jaune encore en hausse ! L’inflation jaune augmente !
Allsop, dont la sueur maintenant coulait à flots sur le col, secoua la tête avec vigueur.
– Foutaises ! hurla-t-il pour se faire entendre. Les matières premières sont au-dessous du prix coûtant ! Il n’y a pas d’inflation !
Sanchez, qui jusque-là avait suivi le duel avec un détachement amusé, fronça le sourcil. Il s’écarta de la chaire à laquelle il s’était appuyé.
– Réponse ennuyeuse, dit-il avec une lenteur délibérée, pour insister sur son propre dégoût. Il y a toujours de l’inflation, monsieur Allsop. Sinon, il n’y aurait pas de lutte contre l’inflation, et l’ordre social irait à vau-l’eau. Votre situation est critique, vous devez faire quelque chose. De quelles options disposez-vous ?
Troublé, Allsop s’efforça de réfléchir.
– Relever le taux d’escompte. Freiner les investissements et l’emploi.
– Vous venez juste de le baisser. Les marchés réagiraient mal. Proposez-moi autre chose.
Le garçon fouilla dans sa mémoire.
– Poursuivre les exportations, hasarda-t-il. Attendre que la croissance de l’économie réelle remette à flot la monnaie.
De la classe entière, un murmure s’éleva. Sanchez mima un accès de vomissement, avec tant d’efficacité que les étudiants du premier rang s’écartèrent.
– Réponse très ennuyeuse ! Il n’existe pas d’économie réelle.
Allsop sentit le sol se dérober sous ses pieds.
– Mais dans le passé il est arrivé… s’embrouilla-t-il.
Sanchez l’interrompit d’un geste brusque.
– Il n’y a pas de passé. Il n’y a pas de futur. Réponse tortueuse.
Noirs et rouges explosèrent dans un grand tapage, tandis que sur les écrans défilaient des fichiers de données négatives pour la Confédération. Un nouveau chœur fit vibrer les murs de la salle.
– Il n’y a pas de passé ! Il n’y a pas de futur ! Il n’y a pas de passé ! Il n’y a pas de futur !
Les étudiants jaunes, humiliés, fixaient le plafond, inquiets, dans l’attente de quelque chose. Soudain, d’un haut-parleur s’éleva le son d’une sirène qui annonçait leur sort. De dizaines d’orifices cachés tombèrent des jets de peinture sombre, collante. Cravates de soie, vestes imperméables, chemises brodées furent, en quelques instants, rendues inutilisables. Les jeunes gens essayaient de se protéger la tête et les yeux, mais le liquide gluant ne leur laissait aucune chance. Quand la pluie cessa, l’équipe jaune était réduite à un groupe de grotesques formes noirâtres, tandis que noirs et rouges s’abandonnaient à une hilarité déchaînée et, jugea Felix, un peu artificielle.
Le cours de Sanchez se poursuivit avec l’exposition théorique des thèses monétaristes, synthétisées en slogans qui couraient rapidement sur les écrans. Suivirent deux heures de gestion de l’entreprise, que l’équipe battue dut suivre dans l’état où elle se trouvait. Quand la sonnette annonça la pause-déjeuner, alors seulement les perdants purent aller se laver et se changer. Mais l’expression de leurs visages, au retour, montrait que la toilette n’avait pas atténué leur mortification.
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