Les lunatiques
Savent les grands gardiens où nous nous trouvons ?
À peine sortis des langes de la terre.
Nous avons grimpé le toit de l'univers
Et sur le tranchant du siècle nous marchons.
Quel esprit fou avons-nous sucé et bu ?
Cette folie ne connaît donc plus de bords,
Les yeux ouverts, lunatiques fils de mort,
Nous avançons vers le vide noir déchu.
Qu'il est triste le zodiaque qui erre !
Alchimistes de la douleur, du courage,
Nous sommes greffés en matière sauvage
Et nous poussons, tous, en dehors du mystère.
Hantés par l'Absolu – véritable lieu
Où le rêve ne connaît jamais le blâme –
Nous portons la torche lourde de flammes,
Et nous mettons ainsi aux siècles le feu.
Mais plus nous y montons, plus nous chancelons
Sur les pensées devenues longues échasses…
Et l'ange n'ose plus crier, dans sa grimace
Regardant nos pas dans le gouffre profond.
1942, décembre, Bucarest
(p. 327)