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Citations de Vasile Voiculescu (55)


Autoportrait romantique
(à soixante-sept ans)

Je me suis forgé une vieillesse brave,
Aux cheveux blancs tel un drapeau replié,
Le blocage de la barbe en collier
Autour du visage, chétive enclave.
Ma poitrine libre, presque une épave,
Dans le tourbillon des flots déchaînés,
Porte encore haut, mais du seuil plus près,
Un cœur, déjà refroidi, mais de lave.

Je rêve toujours, car mon rêve veille,
La paresse, vieille amie, me conseille
Quand me tirent des milliers de pensées…

Quel temps il fait je ne veux plus avoir ;
Je regarde, en moi, la poudre du soir,
Descendant l'escalier de ma mémoire,

Je m'appuie dans ma plume bien dévouée.

Dimanche, le 11 novembre 1951,
Bucarest, Cișmigiu
(p. 381)
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Le souvenir

Ainsi passa, bien chétif, le souvenir
De notre amour, comme une triste fleur
Qui dans un verre cesse de resplendir,
Car, abandonnée, elle pleure et se meurt.

Il n'y a personne dans cette langueur.
Au plancher le miroir hagard rien ne mire.
Des rideaux arrêtent la trop forte lueur…
Même les araignées ont cessé d'ourdir.

En se regardant dans la coupe fanées,
De leur pulpe flétrie les feuilles ahanées,
Se détachent dans un gaspillage total,

Descendant doucement dans l'ombre quiète...
Et la fleur du souvenir, oubliée, fluette,
Laisse tomber un à un tous ses pétales

Dans la vieille eau du temps, pourrie et muette.

[Amintirea

Cum s-a trecut, plăpândă, amintirea
Iubirii noastre, tocmai ca o floare
Ce-ntr-un pahar îşi plânge strălucirea
Uitată-n colţul mesei, unde moare.

Nu-i nimeni în odaia tânjitoare.
Oglinda-n podini şi-a holbat privirea.
Perdelele lungi ţin calea către soare ...
Păianjenii şi-au întrerupt urzirea.

Privindu-se în cupă ofilite,
Din miezul veşted foile mâhnite
Se rup, treptat, cu-o mută iroseală

Picând domol în umbra liniştită ...
Şi floarea amintirii, părăsită,
Se scutură petală cu petală

În apa vremii veche şi clocită. ]

(p. 130-131)
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Essaye de tendre, frère, l'arc de la folie,
Ainsi vont éclater les bouts du violon :
Peut-être la flèche en tempête surgie
Frappera le but de sagesse à l'horizon !

Porte sans crainte la lance droite de haine,
En l'enfonçant plus fort encore que les sbires…
De la mortelle blessure de furie soudaine
Peut-être que le sang de l'amour va surgir !

(Peut-être, p. 95)
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Contemporain

Ni le ciel, ni la terre ne m'effraient ;
Je transperce l'un, sur l'autre je marche ;
Je suis faible – grain par le vent soufflé
Sur les steppes de la vie par trop larges
Mais il me souffle où je veux arriver !

Si tu es même à l'infini de moi,
Je sais que tu es et cherches le tien
Empire et ne vis ma vanité pour rien.
Ô, Dieu, je suis contemporain avec toi
Et de l'éternité suis contemporain.

Dimanche, le 7 octobre 1956, Bucarest
(p. 407)
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Inscription

Tu vois, le vin se rappelle au mois de mai
Au fond des caves, avoir bu la chaleur
Lorsqu'une plante claire au champ il était
Et bouillonne quand la vigne se fait fleur.

Les élans de l'amour en nous-mêmes clos
Pressent sur tous les cerceaux qui les enserrent,
Quand les nouvelles arrivent au tonneau
Par-delà des caves profondes de terre.

(p. 271)
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Les lunatiques

Savent les grands gardiens où nous nous trouvons ?
À peine sortis des langes de la terre.
Nous avons grimpé le toit de l'univers
Et sur le tranchant du siècle nous marchons.

Quel esprit fou avons-nous sucé et bu ?
Cette folie ne connaît donc plus de bords,
Les yeux ouverts, lunatiques fils de mort,
Nous avançons vers le vide noir déchu.

Qu'il est triste le zodiaque qui erre !
Alchimistes de la douleur, du courage,
Nous sommes greffés en matière sauvage
Et nous poussons, tous, en dehors du mystère.

Hantés par l'Absolu – véritable lieu
Où le rêve ne connaît jamais le blâme –
Nous portons la torche lourde de flammes,
Et nous mettons ainsi aux siècles le feu.

Mais plus nous y montons, plus nous chancelons
Sur les pensées devenues longues échasses…
Et l'ange n'ose plus crier, dans sa grimace
Regardant nos pas dans le gouffre profond.

1942, décembre, Bucarest

(p. 327)
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CCXXV

Tu sauras que les larmes sont souvent rosée fidèle
Qui, sur l’âme trop sèche, tombe généreusement :
En rassemblant tout le ciel dans une goutte nouvelle,
Elle y met un but oublié, ta racine abreuvant.

Une larme pure et chaste est le génie de l’amour :
Tous les déchus aux enfers elle les soulève sauvés…
Une seule suffit pour rendre au regard le vrai jour,
Et, tel, Saül, on voit le monde aux yeux désécaillés.

On nous promet là-haut, au-delà même de la mort,
Un endroit heureux sans larmes et sans soupir aucun ;
Que vais-je faire là-bas si l’on nous sépare alors,
Sans avoir plus cette manne pour assouvir ma faim ?

Si tu n’y es pas, bien serrée par mon souffle dévot,
À l'éternité j'apprendrais à pleurer aux sanglots.


Décembre 1956
[dans « Les Derniers Sonnets figurés par Shakespeare dans la traduction imaginaire de V. Voiculescu »]
(p. 553)
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CLVIII

Dans le clair midi de l'âge je ris à ta jeunesse,
Je regarde ton orgueilleuse beauté bien en face
Et à tes yeux, astres d'une troublante hardiesse,
J'oppose mon génie intense où ils fondent, s'effacent.
Je t'offre l'esprit, je ne t'embrasse pas sur la bouche,
Comme penché sur une fleur, je te romps, te respire…
Dorénavant tu n'es plus être de charnelle souche,
Mais un calice sacré d'où toute la vie je tire.
Je ne compte pas mes ans, la sève n'est pas dans la grâce ;
Par la force idéale attire ce qui m'est précieux,
Vertus et passions au joug de la poésie j'enlace,
Où, de la poudre tardive sans qu'il y ait des traces,
Je t'y mêle de vive force ; pour le mage pieux,
La terre n'a pas de bornes, n'ont pas de seuil les cieux.

Jeudi, le 2 décembre 1954
[dans « Les Derniers Sonnets figurés par Shakespeare dans la traduction imaginaire de V. Voiculescu »]
(p. 419)
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Je n'étais pas étonné des courbettes ni de la crainte que j'inspirais aux gens. Tous ceux qui travaillaient dans l'administration étaient traités de la sorte, et pour cause ! Moi aussi, je sévissais comme les autres. Mais ce qui m'intriguait de leur part, c'était cette sorte de dévotion respectueuse, de vénération d'une autre essence qu'ils me réservaient et qu'on n'accordait pas à d'autres collègues, comme le médecin et le préfet. J'en devinai bientôt la raison : moi, j'étais un mage. Le juge se plaçait au-dessus de tous les autres, il était investi de vertus d'ordre spirituel. Je ne corrigeais pas les coupables comme le faisaient les gendarmes ou le commissaire. Je n'arrachais pas les enfants malades à leurs mères comme le faisait le médecin pour les envoyer à l'hôpital. Moi, en tant que juge, rien qu'en écrivant quelques lignes, j'avais le pouvoir de confirmer ou d'annuler tout ce que les autres concoctaient : amendes, contraventions, procès.
(cf. p. 185, traduit du roumain par Nicolae Tafta)
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Couchant

Couchant de framboise sur les monts en été,
Dans le grand giron du soir rougi
Les framboisiers du ciel leur poids ont secoué :
Écrasé, tout le monceau blet s'élargit.

À l'horizon pendent les fruits rouges et mûrs.
Sortent de leur ombre profonde en humant,
Les ours de la nuit à trop vorace allure
Et mangent la douce framboise du couchant.

(p. 227)
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Noces paysannes

Fatigués ils rentrent du travail en chantant leur amer...
Mais deux jeunes, isolés, s'attendent tout frémissants.
La jeune fille feint de chercher de belles fleurs aux champs,
Le jeune homme s'arrête battant son briquet en fer.

Restés loin derrière ils s'enlacent fascinants
… Le champ participe aux noces : un saule est l'autel,
Les cailles disent des oraisons, le chêne des appels
Et un mariage doré jusques à l'aube s'étend.

Le tendre Amour veille sur eux et doucement il leur creuse
Des lits dans les larges ondoiements de l'herbe soyeuse,
Il ouvre l'Éternité et le temps meurt dans sa chute ;

Et au-dessus d'eux, vagues dans les hauteurs déroulées,
Pendent des voûtes d'ombre aux étoiles accrochées
Et closent vite la nuit comme une vibrante hutte.

(p. 145)
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Soleil couchant

Du haut ciel parcouru dans son immensité
Descendant sur les monts, le Soleil trop ardent
Arrête pour un instant tous ses fougueux coursiers
Aux corps enflammés, aux crinières dans le vent.

Et menant les chevaux chez lui, pour le repos,
Lui-même les abreuve pour toute la nuit
Dans le lac de lumière infiniment éclos,
Débordant dans la voie du soir comme une pluie.

(p. 127)
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CLXXV

L'amour ne serait-il donc qu'un masque de la Douleur ?
Une autre image d'elle quand peut-être il dort et rêve ?
Pourquoi alors en moi-même il veille toujours, sans trêve,
Même jusqu'à l'oreiller qui plonge dans la douceur ?
Tous les deux m'aviez torturé avec cet art perfide
Dont les hommes adroits cueillent les roses à pleines mains ;
Écrasées dans les lourds pressoirs, bien tassées, il les vident
De toute leur profondeur éternelle : leur parfum.
[En]fermée dans les purs cristaux, leur essence inégalable
Parcourt les siècles, loin… ni même la mort ne la vainc,
Et l'esprit de la rose remplit tout ce qu'il atteint…
De même, moi, par vos longues tortures implacables,
Je me distille en vers, par la poésie révélée
Je vous embaume dans l'arôme de l'éternité.

Mercredi, le 23 février 1955
[dans « Les Derniers Sonnets figurés par Shakespeare dans la traduction imaginaire de V. Voiculescu »]
(p. 453)
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Cimes effrayantes

Il y a des cimes effrayantes cachées dans nos âmes,
Mais personne n'y monte, personne ne les atteint,
Au-dessus, sur les ténèbres, les tempêtes qui brament,
Règne la lumière pure et jamais ne s'éteint…

Le soleil qui se lève y lance son premier rayon
De même que le couchant tardif son dernier reflet,
La lumière brille toujours sur leur front d'horizon
En embrassement passionné, qui ne finit jamais.

Rarement un aigle aux longues ailes vouées au hasard
Arrive aux cimes lumineuses, mais ne vole plus,
Car, saisi dans le charme des filets sereins, hagard,
Il y reste sans descendre, solitaire reclus.

(p. 111)
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CLXXXII

Moi, je n'ai jamais été apprenti ;
Dès le début vrai maître… seulement
Devant toi je tombe ; je t'en supplie,
Sur moi répands ta grâce maintenant.
Donne-moi le vrai tout, mon seul seigneur,
Car la division ne serait que vaine ;
Oui, ton amour a comme frère et sœur
L'Art éternel et la Mort souveraine…
Heureux, aujourd'hui ils se sont plus guère
Isolés dans un monde d'intervalles :
Du ciel, de l'enfer, de la terre entière
Ils se groupèrent dans ta beauté géniale.
Quand j'étreins tout ton être lumineux,
J'embrasse les trois par le même vœux…

Le 23 avril 1955
[dans « Les Derniers Sonnets figurés par Shakespeare dans la traduction imaginaire de V. Voiculescu »]
(p. 467)
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Désir de jeunesse

Ton petit sourire pénètre profondément…
Et au-delà de la trop froide fermeté
En moi s'élève le vieil ennemi d'antan,
L'héréditaire désir d'immortalité.

Du bord de l'oubli je reprends donc mon élan,
À la côte du temps un obstacle je mets,
Je jette l'habit grisâtre et, fort révolté,
Je divorce de la vieillesse sur-le-champ…

Je m'accroche aux branches de la jeunesse fière,
J'embrasse des douleurs avec mes lèvres avides,
Je porte des blessures en agrafes chères.

Mes yeux redeviennent des raisins verts limpides :
Par la nuit étroite de ta robe splendide,
Je vois encore toute l'aurore de ta chair.

(p. 291)
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Au cœur du printemps

Chargés de fleurs, les acacias sortent aux clôtures,
Sur les côtes les herbes pendent follement,
Les merles aux noyers lancent un vert murmure,
Les tilleuls portent des parfums aux vêtements.

Se mêlent, bouillonnent nature et univers,
La feuille s'ébat au vent, l'aile attend dans l'œuf tout chaud,
Un châle nouveau est le lac bien calme et clair,
Cependant que le reflet du saule un écho…

C'est le printemps jusqu'à la hauteur solennelle…
Et lourd de la sève du ciel aux nuages jaillit,
L'azur feuillit en innombrables hirondelles,
L'horizon bourgeonne des grues au plumage gris.

(p. 259)
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CLXVIII

Le printemps frappe dans nos cœurs !… Allons ouvrir nos portes :
Les lapis-lazuli du monde sont tous dans tes yeux,
Tant que nous pouvons défier des ombres les cohortes,
Allumons un autre soleil sur ses chemins trop vieux…
Est-ce ta main dans l'air ? Ou bien le premier rossignol ?
Long tremblement de paupières ? Ou tendre papillon vivant ?
Grain rouge d'églantier tend ta petit bouche molle,
Un tronc svelte de pommier mûr m'est ton corps ondoyant…
Et par toi je comprends maintenant toute la nature,
Je me place du côté de l'ordre de l'âpre univers,
Le typhon qui prépare aux navires la sépulture,
Ton cher petit pied qui marche sur l'insecte, le vers,
Neiges, fleurs et fruits sur ta route s'étendent fidèles,
Tour à tour, ensemble soumis à ton rythme éternel !

Mercredi, le 12 janvier 1955
[dans « Les Derniers Sonnets figurés par Shakespeare dans la traduction imaginaire de V. Voiculescu »]
(p. 439)
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CCXLIV

Nuis-je à ta renommée ? Je voudrais te dire avant tout,
Océan de génie qui noies même l'oubli amer.
Qui pourrait donc, à plus forte raison un pauvre fou,
Et de quelle façon dans ce monde, souiller la mer ?
Ainsi j'ai hanté ta noble vie, moi le rustre Will :
Mais je n'ai pas pu atteindre ta terrible grandeur !
J'ai osé alors, humblement agenouillé, docile,
Te ramener… ici… jusqu'à mes pieuses profondeurs…
Si j'ai traduit dans mes ombres ta royale lumière,
Les larmes ont déjà mouillé mes vers comme les yeux.
Je t'ai dit mon murmure, tel un enfant qui acquiert
Les paroles, déformées par son effort laborieux…
Mais, soleil éternel, tu peux pardonner un instant
Que je sois un pauvre insecte dans ton rayon ardent.

Dimanche et lundi, les 20–21 juillet 1958
[le dernier de « Les Derniers Sonnets figurés par Shakespeare dans la traduction imaginaire de V. Voiculescu »]
(p. 591)
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CLXV

Ma chère, ton âme vaste est profondément tortueuse
– Labyrinthe, caché sous le palais de la beauté –
Où règne un Minotaure d'une force monstrueuse,
De l'esprit de gloire et de la jeune chair affamée…
De nombreux audacieux périrent sous ses voûtes sombres,
Jeunes héroïques, proie de la bête souveraine…
Maintenant je me rejoins aussi aux fuyantes ombres,
Je descends, mais sans crainte dans les pièges qui m'entraînent.
Car tu es mon Ariane et tu m'offres un fil fait
De tes cheveux de ténèbres, qui m'est un vivant guide ;
Ce n'est pas pour me sauver que je le tiens, le défais,
Mais je plonge encore dans l'empire du noir avide ;
Le dédale de ton âme est mon abri préféré
Et je jure que de lui jamais je ne sortirai.

Samedi, le 8 janvier 1955
[dans « Les Derniers Sonnets figurés par Shakespeare dans la traduction imaginaire de V. Voiculescu »]
(p. 433)
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